8.4.4.2. Des individus qui deviennent acteurs du changement et d’un apprentissage organisationnel stratégique et continu

La mise en œuvre de l’ARTT a entraîné des évolutions positives concernant : le développement de la communication, de l’autonomie et de la responsabilisation des acteurs, l’ouverture à la diversité des points de vue portés par chacun, une meilleure coopération transversale inter-fonctionnelle, une prise de recul sur le sens de son activité, l’efficacité croissante du travail en équipe dans des contraintes de coûts-délai-qualité… Nous sommes dans un apprentissage en « simple boucle », où ces nouvelles pratiques s’expérimentent, s’acquièrent et se transmettent dans un cadre général qui n’est pas modifié. « Les hommes font des projets tout comme les projets font les hommes » (Leroy, 1996 739 ). Ces expériences introduisent l’idée que le changement se propage comme un processus d’apprentissage collectif et organisationnel, basé sur le principe d’expérimentation de méthodes et de comportements nouveaux dans des espaces ciblés conçus pour cela (les projets) et qui génèrent des effets « tâches d’huile » directs (d’autres projets) ou indirects (évolution progressive de l’ensemble des comportements et des modes de travail, formalisés ou non dans une nouvelle structure). Nous pouvons parler comme dit Leroy « d’apprentissage par et dans les projets ». L’apprentissage se situe alors à un niveau cognitif. Le management par projet agit également au niveau des représentations (Richard, 1993 740 ). Il permet de confronter les visions existantes (sur l’organisation du travail, sur le rôle d’un manager…) mais également d’instaurer une dynamique cognitive collective autour d’un processus et d’un parcours d’évolution ou chacun peut trouver sa place. Il s’agit ici d’un véritable apprentissage organisationnel en « double boucle » dans le sens où émergent de nouvelles normes collectives (Lanz, Mezias, 1992 741 ) conduisant à transformer les règles du jeu d’un système social construit et à les « encoder » (Senge, 1991 742 ) progressivement dans un nouveau cadre organisationnel.

La diffusion des savoir-faire s’est effectuée sur les terrains d’expérimentation, dans les échanges d’expériences et de savoirs entre les personnes d’une même équipe, structuration des pratiques par ajustements à partir de feed-back de l’encadrement. La stratégie d’apprentissage consiste à mobiliser à chaque instant les ressources disponibles à l’endroit et sur les leviers qui apparaissent les plus déterminants pour améliorer la performance.

La connaissance acquise dans l’action est proche de l’analyse de Cyert et March (1963 743 ) qui comprennent l’apprentissage organisationnel comme un ajustement du comportement de l’organisation en réponse aux modifications de l’environnement. Bennis et Nanus (1985 744 ) le définissent comme le moyen par lequel l’organisation accroît son potentiel de survie grâce à sa capacité à gérer les changements dans l’environnement. Nous évoluons incontestablement vers un nouveau type d'organisation dont les remaniements à la fois d'ordre structurel et managérial tendent à instaurer un processus permanent d'acquisition et d'entretien des connaissances. Une décentralisation synchronisée des décisions en développant les autonomies individuelles et la responsabilité, octroierait a priori aux individus la possibilité d'entreprendre à travers notamment la formation de groupes de travail, de nouvelles expériences et par la même d'accroître leurs compétences.

Les organisations capables d'ajuster leurs modes de management aux remaniements structurels seront de toute évidence adaptées à l'émergence d'un processus d'apprentissage organisationnel. Les organisations dites apprenantes s'insèrent dans cette catégorie. La notion d’entreprise apprenante défend l’idée selon laquelle « les sources de savoir individuel sont quasi illimitées lorsque l’individu est placé dans des contextes changeants et stimulants où il exerce librement ses facultés d’expérimentation et satisfait son plaisir d’apprendre » (Tarondeau, 1998 745 ). Par conséquent, les structures organisationnelles détenant un impact certain sur les processus de transfert et d'émergence des connaissances, la réflexion se porte alors sur la constitution d'une organisation susceptible « d'apprendre à apprendre » (« deutero learning » 746 ). Le développement d'actions individuelles serait capable non seulement de s'adapter aux fluctuations environnementales mais également d'accroître sa capacité innovatrice à la fois en terme de processus et de résultats.

Le schéma ci-après illustre la dynamique du processus d’ingénierie du management stratégique de l’ARTT (figure n°8-18).

Figure 8-18 : L’ingénierie du management stratégique de l’ARTT
Figure 8-18 : L’ingénierie du management stratégique de l’ARTT

L’ingénierie du management stratégique de l’ARTT permet d’atteindre un état d’équilibre dans un environnement présentant des changements. L’organisation peut ainsi se stabiliser en équilibrant sans cesse ses relations avec son environnement, ce qui nécessite de modifier en permanence ses structures internes et ses modes de fonctionnement dans cet environnement. La plasticité de l’organisation lui permet de s’adapter en changeant sa forme. L’entreprise proactive se stabilise grâce à une équilibration permanente de son environnement interne par rapport à son environnement externe. Au fur et en mesure de ces évolutions, l’autonomie de l’organisation s’exprime par sa capacité à déterminer son comportement en transformant ses finalités et ses structures.

Notes
739.

Leroy D. « Le management par projets : entre mythe et réalités », Revue Française de Gestion, janvier-février 1996, pp.109-120

740.

Richard J.-F et alii. « Traité de psychologie sociale », Dunot, Paris, 1993

741.

Lanz T.K., Mezias S.J. « An organizational learning model of convergence and réorientation », Organization Science, vol.3, n°1, Février, 1992

742.

SENGE, P. ; La cinquième discipline, Ed. F1RST, Paris, 1991.

743.

Cyert R. March J., « A Behavioral Theory of the Firm », Prentice Hall, 1963

744.

Bennis W. Nanus B., « Leaders : The strategies for Taking Change », Harper and Row, 1985

745.

Tarondeau J. C., « Le management des savoirs, » Coll. « Que sais-je ? », PUF, 1998, p 92

746.

Cf. la notion de Argyris et Schön, 1978.