21 Typicalité et localisation absolue

Ce recours aux modèles de ‘typicalité’ a été conforté par les analyses portant sur la question de la localisation absolue ou non, dans le rappel des chunks. Deux thèses s’opposent depuis longtemps sur la question de savoir si la mémorisation des chunks les plus typiques est liée à leur structure, certes, mais aussi à leur localisation sur des cases précises de l’échiquier. Pour Chase et Simon (1973), les coordonnées de la case sont partie intégrantes de l’encodage, c’est-à-dire que le rappel de chunks qui gardent leur même structure mais sont décalés d’une colonne ou d’une rangée est dégradé et moins performant. Ils l’expliquent par le fait que la structure des relations entre un chunk et le reste de la position est au moins aussi importante que la structure elle-même du chunk. Lorsqu’il y a changement de localisation, le chunk perd de sa valeur et de son sens et est moins bien encodé. Cette théorie postule qu’il y aurait en MLT quelques dizaines de milliers de chunks répertoriés. C’est l’ampleur de ce nombre que conteste Holding (1985) et qui va le conduire à proposer une hypothèse différente de relativité de la localisation. Pour lui, c’est la structure du chunk qui est retenue, quelle que soit la couleur des pièces et le décalage de cases : dès lors que la structure est préservée le chunk remplit sa fonction de pattern d’activation. Ce constat diminue considérablement le nombre de chunks stockés en mémoire, dans un rapport de 1 à 10.

Saariluoma (1994) va proposer un protocole dans le but de faire la lumière expérimentalement sur ce point de la localisation. Il divise l’échiquier en quatre quadrants et retient une procédure dans laquelle les mêmes chunks de pièces sont présentés dans un quadrant de référence, puis dans un quadrant de transposition. Son hypothèse est que si le rappel d’un chunk est moins performant lors de la transposition, c’est donc que la localisation est absolue ; en revanche, si la qualité du rappel n’est pas changée, alors le principe de localisation est relatif.

Les deux échiquiers de la figure 6 illustrent la translation faite, d’un quadrant à l’autre, de part et d’autre de la diagonale a1-h8. Le Roi roqué et sa garde des Blancs se retrouve en haut à gauche sur le second échiquier, les deux autres quadrants ne subissant pas de changement. Il est vrai que cette translation pose un réel problème au joueur puisqu’elle conduit au placement de pièces sur des cases que les règles interdisent : par exemple, deux pions en première rangée, en g1 et h1, or un pion arrivé en 1ère rangée se change en une autre pièce et surtout, dans le placement initial des pions, ceux-ci sont tous placés en 2ème rangée pour les Blancs et 7ème rangée pour les Noirs et bien sûr jamais sur une autre rangée (1ère ou 8ème).

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Figure 6 : Rappel de chunks et transposition de quadrant. D’après Saariluoma (1994).

Les résultats confirment l’hypothèse de la localisation absolue. Lors de la transposition d’un quadrant à un autre, latéralement par rapport à la diagonale a1-h8, le taux de pièces rappelées diminue significativement, –50% (p < .01), et cela pour les trois catégories de sujets, experts, joueurs moyens et novices, comme le montre la figure 7.

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Figure 7 : Rappel de chunks selon transposition ou non sur des quadrants voisins des chunks de pièces ; d’après Saariluoma (1994). N = Positions normales, T = Quadrants transposés