12 Imagerie mentale et prise en compte du mouvement

C’est la prise en compte du mouvement et du type particulier de représentations d’objets fondées sur le mouvement (‘motion encoded objects’ de Kosslyn et Sussman, 1995) qui a justifié l’abandon des seuls modèles structuraux de reconnaissance par les primitives (Marr) ou les composantes stables (geons de Biederman, 1987).

Hinton (1981) et Jolicoeur (1992) ont proposé un modèle d’ajustement où les composantes mouvement et orientation d’un stimulus sont traitées par un système différent de celui traitant les autres caractéristiques du signal. Il y aurait extraction en parallèle par deux systèmes interconnectés des éléments du signal relatifs au mouvement et à l’identité.

Sanocki (1993), dans son modèle d’aller-retour, montre qu’il y a amalgame de processus ascendants et descendants, les informations traitées par le circuit direct en V4 (aire visuelle 4 traitant la couleur mais surtout l’orientation) et MT (aire visuelle traitant le mouvement) relatives au mouvement des éléments - ici le potentiel de déplacement de chaque pièce-, en redescendant, contraignent les traitements plus lents des composantes structurelles et des traits de surface de la forme.

Dès lors, un Roi roqué est perçu par voie directe ultra-rapide en ce qu’il comporte les mouvements de mise à l’abri du Roi, de libération de la Tour qui peut s’activer sur sa rangée et sur sa colonne et éventuellement de contrôle de la diagonale du Fou en fianchetto. Ce n’est que plus tard que le détail du pattern est enregistré par le joueur, position des pions avec ou sans pion avancé en colonne h ou pion g avancé avec fianchetto du Fou.

Le contour global pré-active une séries de patterns candidats et ceux-ci guident l’analyse des détails intégrés plus lentement (Boucart, 1997).

On est proche des modèles de la double voie dorsale et ventrale du système visuel. Ces modèles nous paraissent d’autant plus pertinents dans le champ de notre étude qu’ils rendent compte de la différence de vitesse de traitement observé chez les joueurs experts par rapport aux non-experts : six pièces sont mémorisables globalement en un flash d’où la facilité de récupération. Nous disons flash par référence à l’hypothèse de codage neuronal asynchrone basé non plus sur le temps de décharge des neurones mais sur leurs dates de décharges relatives (Thorpe, 1995, 1997) ; mécanisme de catégorisation ultra-rapide à partir de détecteurs de traits diagnostiques. Grâce au parallélisme massif qui caractérise le système visuel, un Roi roqué sera perçu en quelques dizaines de millisecondes.

Plutôt que d’opposer le volet mémoire au volet perception, et de chercher une prévalence de l’un ou de l’autre, comme l’ont fait à ce jour les spécialistes de l’expertise échiquéenne, nous devons reconnaître que deux processus agissent en parallèle : la constitution en MLT de patterns, templates et retrieval structures, et, au plan perceptif, des mécanismes de détection des similarités fondées non sur les seuls aspects structuraux et catégoriels mais également et parallèlement sur le potentiel de mouvement.