Chapitre 3
Historique des études portant sur les qualités exigées et développées par le jeu d’échecs

Nombreux sont, au cours des siècles, les hommes de lettres qui ont écrit ou commenté leur expérience du jeu d’échecs et leur fascination pour de jeunes prodiges. Au XXVIII ème siècle, un célèbre automate turc - dans lequel se cachait un joueur de bon niveau - écumait les salons de Paris en démonstrations et parties rémunératrices. On connaît les lettres de Diderot au célèbre musicien et joueur d’échecs de son temps, Philidor, à qui il reproche d’aller perdre son temps et sa santé en Angleterre à jouer sans voir contre des nobles anglais pour de l’argent. Lamennais, Musset et d’autres précéderont Hippolyte Taine, qui, le premier, fera des échecs un objet d’observation scientifique dans le domaine psychologique.

Mais c’est avec Binet et Cleveland que les premières études sur la psychologie du joueur d’échecs commencent réellement. Nous avons déjà évoqué dans la première partie les travaux précurseurs sur les protocoles verbaux des grands champions réalisés par Binet dans le cadre de ses recherches sur le jeu sans voir.

Un peu plus tard, Alfred A. Cleveland dans l’American Journal of Psychology publie une étude sur les qualités qui font le bon joueur d’échecs, distinguant la capacité à prévoir les coups à l’avance, l’imagination visuelle, et le sens tactique et positionnel. Il ajoute en appendice à son article la description d’un sujet pensionnaire d’une institution psychiatrique ayant appris le jeu en observant des joueurs et parvenu à un bon niveau de jeu. Ce contrepoint est nécessaire selon lui pour pondérer la vision optimiste, voire idyllique, qui ferait considérer les excellents joueurs comme dotés d’une intelligence générale. En cela Cleveland est précurseur de Zweig, Nabokov ou Czentovic qui, par la suite, ont écrit sur la dimension psychopathologique de certains sujets grands joueurs.

L’idée directrice des études et recherches durant des décennies a été d’étudier les grands maîtres afin de déterminer d’une part la nature de leur expertise, ce que nous avons abordé dans les précédents chapitres et, d’autre part, de tenter d’établir les rapports existant entre le niveau d’excellence atteint et les capacités générales intellectuelles ou, d’une façon plus générale, les qualités intellectuelles dont faisaient preuve les champions, ce qui fait l’objet du présent chapitre.