2 Les liens entre aptitudes intellectuelles et pratique échiquéenne

Entre 1932 et 1935, un psychologue américain, Carl Ekoos, observe des scolaires joueurs et cherche à établir des corrélations entre niveau scolaire et niveau échiquéen. Il distingue six domaines de mesure : l’intelligence générale, les résultats en matière de lecture et de mémorisation, la concentration durant le travail scolaire, la concentration dans le travail échiquéen, les résultats dans les autres matières scolaires, enfin, les résultats en tournoi échiquéen entre écoles. Ekoos établit une corrélation positive entre ces différents domaines. Si le nombre de sujets étudiés est faible - sept -, le fait que l’étude ait porté sur trois années donne un intérêt à ces résultats. Ces derniers infirment les études faites jusqu’alors sur les experts adultes qui concluaient dans le sens d’une non corrélation entre aptitudes générales et talent échiquéen.

Beaucoup plus tard, à la fin des années 70, le maître international et psychologue Partos conduit une étude dans le Valais sur l’hypothèse du caractère formateur au plan intellectuel des échecs utile pour les autres matières scolaires. Partos résume les résultats en énonçant les dix qualités développées par ce jeu :

Il n’est pas anormal de retrouver de nombreux points communs avec l’étude de Djakov. Capacité d’attention et de concentration sont la condition préalable à toute tâche complexe, et cette faculté, on le conçoit bien, peut être plus aisément mobilisable à la demande par un sujet qui y est entraîné par une activité à fort enjeu, comme l’est un gain ou une défaite. La compétition aiguise la volonté mais, dans le même temps, apprend à gagner et à perdre. Accepter de perdre, au plan psychologique, est important chez l’adolescent parce que cela construit une maîtrise de soi et de ses réactions ainsi que le respect de son adversaire. Accepter de gagner aide également à avoir confiance en soi, cette confiance en soi étant un facteur clé dans le comportement scolaire et d’un point de vue psycho-pédagogique. Les aptitudes de logique de construction d’un plan réfèrent à l’analyse de la position et à la recherche d’une combinatoire des facteurs ‘’mouvements de pièces’’ et ‘’répliques probables’’. En revanche, on comprend moins bien la présence dans la liste de Partos d’items relevant de l’imagination et de la créativité, sauf à confondre l’anticipation et la prévoyance des coups possibles de l’adversaire. La contrainte d’analyse logique et, très tôt, le recours à la mémoire des variantes et des parties jouées confèrent un rôle à la base de connaissances qui laisse peu libre cours à l’imagination. Et la capacité d’imagerie qui caractérise le jeu ne peut en aucun point être confondue avec l’imagination. Le dernier point mis en avant porte sur le goût pour les langues étrangères. Ceci rejoint les observations mentionnées ci-dessus portant sur la part du verbal et a été corroboré par d’autres études que nous allons citer.

Les liens entre niveau intellectuel et niveau échiquéen furent confirmés par Elo (1978) qui calcula que sur un échantillon de 180 grands-maîtres, les deux-tiers avaient étudié à l’Université. Elo établit également que 96% de ceux-ci parlaient au moins deux langues étrangères, et plus du quart cinq langues. De Groot (1965) était parvenu à des conclusions identiques, tout comme Pfau et Morphy pour qui la composante verbale est loin d’être négligeable contrairement à l’idée fort répandue postulant une dominante visuo-spatiale. Cette aptitude verbale – regardée par beaucoup comme la plus corrélée à l’intelligence générale – peut s’expliquer par le fait que le joueur travaille sa théorie sur des ouvrages qui sont souvent publiés dans des langues autres que sa langue maternelle, le poussant, compte tenu de l’enjeu pour lui, à suivre tout ce qui est publié, à se doter du bagage linguistique nécessaire à une bonne compréhension des textes étudiés. Un autre facteur relevé par les auteurs tient au fait que, lors des tournois, les joueurs participants viennent de pays très divers et sont de culture d’origine variées, ce qui constitue une opportunité au plan culturel et linguistique et une ouverture d’esprit.

De ces travaux, il nous faut également dégager une composante psychologique et non plus seulement cognitive, qui a des effets sur l’efficience des aptitudes cognitives recrutées. Il s’agit de la capacité à la gestion de ses propres ressources et de son équilibre en situation de compétition. Djakov avait dans la longue liste d’items inscrit la volonté et le tonus. Partos l’inscrit également au titre des apports essentiels de la pratique. De Groot écrit à propos de « la force de la volonté » qu’il s’agit là pour le joueur d’une capacité d’auto-organisation et de prise en charge par lui-même de tous les éléments de sa vie : mode de vie, discipline, organisation du temps comme de la carrière. Cette variable « gestion de soi » est considérée par Wagner et Sternberg (1985) comme l’indicateur le plus significatif d’un niveau d’expertise atteint dans un domaine.

Un point commun aux quelques études ayant pour objet les qualités exigées et développées par le jeu d’échecs  chez l’enfant a concerné les rapports entre les aptitudes aux mathématiques et le niveau échiquéen. Les objectifs assignés à l’enseignement de cette discipline dans le cursus scolaire ont poussé certains auteurs et responsables du système éducatif à souhaiter vérifier ce que pouvait apporter ce jeu à cet enseignement. Nous mentionnerons deux études faites en Allemagne et en France.