21 Capacités échiquéennes et aptitudes pour les mathématiques chez l’enfant et l’adolescent : l’étude “Mathematik und Schacht” de Shipper (1972)

Cette étude avait pour but de rechercher si des liens pouvaient être établis entre les aptitudes aux échecs et les aptitudes pour les mathématiques. Elle portait sur 40 jeunes joueurs d’échecs classés selon la méthode allemande de l’époque, INGO, allant de 250 (soit environ un ELO de 1000, ce qui correspond aux joueurs les plus faibles) à 83 (soit environ un ELO de 2300).

Schipper a fait passer aux sujets une batterie de tests centrés sur les aptitudes mathématiques ; en tout, neuf tests regroupant une vingtaine d’épreuves, dont des résultats normés existaient par tranche d’âge. L’ensemble des résultats étaient regroupés en un quotient global. L’auteur a pu ainsi comparer les performances des joueurs à la norme moyenne de sujets non-joueurs de leur âge, puis a procédé à une analyse de corrélation entre d’une part le classement des joueurs et d’autre part leurs résultats à la batterie de tests. Enfin, une analyse des interactions a permis de calculer au sein des neuf épreuves de tests celles qui étaient les plus corrélées au classement échiquéen.

Les traitements statistiques permirent de déterminer les épreuves contrôle qui étaient les plus corrélées au niveau échiquéen, et de dégager ainsi certaines composantes cognitives développées par la pratique.

  1. épreuve de complètement de phrase
    ex : un cheval a le plus de ressemblance avec : a) une chèvre, b) une vache, c) un chien, d) un âne, e) un boeuf

  2. épreuve de choix de mots
    ex : éliminer l’intrus dans la série : travailleur, mendiant, employé, commerçant, fonctionnaire

  3. épreuve d’analogie
    ex bois/raboter = fer/... a) marteler, b) plier, c) limer, d) scier, e) couper

  4. recherche de point commun
    deux mots sont donnés dont il faut trouver la caractéristique commune, ex : voiture, libellule

  5. épreuve de calcul de règles de trois et d’autres calculs simples

  6. séries de chiffres à compléter

  7. choix de figures 
    cinq figures simples sont présentées ainsi que cinq figures complexes composées par les figures simples, qu’il faut associer

  8. épreuve de représentation spatiale
    cinq cubes sont présentés qui portent sur leurs faces des figures différentes ; en dessous, ces mêmes cubes sont présentés dans des positions différentes, qu’il convient d’associer à la série du haut

  9. épreuve de découverte de traits caractéristiques
    le sujet apprend 5 noms de cinq catégories différentes ; puis on lui présente les initiales de ces mots dans le désordre qu’il faut classer par catégorie

S’agissant d’abord du quotient global moyen, celui des joueurs est d’un demi écart-type supérieur à celui du groupe contrôle. Ceci ne permet toutefois pas de conclure à une performance intellectuelle supérieure. Pour aucune des neuf épreuves une corrélation significative n’est trouvée avec le classement échiquéen. Quelques indications néanmoins éclairent sur ce qui a le plus été sollicité au cours de la pratique échiquéenne. La notation ci-dessous compare les deux groupes de sujets en relevant l’avantage très sensible ++++ ou le résultat très négatif des joueurs ---- par rapport aux sujets témoins.

Joueurs //Non-Joueurs
1- épreuve de complément de phrase =
2- épreuve de choix de mots +++
3- épreuve d’analogie ---
4- recherche de point commun --
5- épreuve de calcul ++++
6- séries de chiffres à compléter ++++
7- choix de figures ++
8- épreuve de représentation spatiale =
9- épreuve de découverte de traits caractéristiques =

C’est pour l’épreuve de calcul rapide, de compléments de séries de chiffres et de choix de mots que l’écart entre les deux groupes est le plus élevé ; à l’opposé, pour les tests d’analogies, l’avantage est au groupe contrôle.

Ces résultats éclairent sur les composantes les plus sollicitées par les échecs et dont on trouve un premier transfert sur un autre domaine. Il y a bien sûr tout ce qui touche au calcul et au raisonnement (épreuves 4 et 5). Le résultat à l’épreuve de choix de mots concerne tout ce qui est identification d’un concept ou d’une catégorie, deux activités essentielles au plan développemental. On ne s’attend pas à priori et intuitivement à trouver un tel avantage dans une épreuve portant sur le langage. Mais cette épreuve concerne l’une des fonctions du langage, l’inférence et le raisonnement catégoriel qui est proche de la logique. En sens inverse, l’avantage plus modeste des joueurs sur les témoins à l’épreuve 7 du choix de figures vient peut-être nuancer une idée à priori que l’on peut avoir sur l’importance de la représentation spatiale et sur la reconnaissance d’objets. Cette relativité est confirmée par la performance à l’épreuve 8 des cubes : la fonction d’imagerie ne semble pas intervenir tôt dans la pratique échiquéenne, ou en tout cas ne pas apporter une habileté transférable à d’autres domaines d’application que les échecs en début de pratique. Le résultat à l’épreuve de découverte semble cohérent avec les autres résultats qui concernent le langage. Les trois épreuves relatives aux capacités verbales ne sont pratiquement pas liées à la pratique échiquéenne et l’absence de corrélation positive n’est en rien anormale.