Chapitre 4
Les travaux de psychologie cognitive sur la pratique échiquéenne de l’enfant

De nombreux jeunes ayant entre 10 ans et 14 ans rivalisent dans des tournois avec des maîtres adultes, ce qui écarte l’hypothèse de petits génies du fait de leur nombre, mais ce qui pose la question de la construction de cette expertise précoce dans une activité cognitive de haut niveau. Question qui, elle-même, suscite aussitôt une autre interrogation portant sur la transférabilité et la généralisation des caractéristiques de cette expertise.

Si l’on essaye d’avoir une vue d’ensemble de ces travaux, on peut regrouper ceux-ci en deux grands ensembles.

Il y a, d’une part, des travaux qui, dans une approche très cognitiviste, ont pour objet d’étude expérimentale les diverses composantes cognitives de la pratique chez l’enfant ou l’adolescent par comparaison avec l’adulte. Plusieurs études sur l’expertise des enfants ont été faites, dont celles de Chi (1978), de Horgan et Morgan (1990) et de Schneider (1993) que nous allons analyser dans ce chapitre. Elles portent sur les questions clés en termes cognitifs que sont la mémoire, la logique, l’imagerie et la stratégie décisionnelle.

Il y a, d’autre part, une autre approche qui a vu certains auteurs tenter d’aborder ces questions dans une optique partiellement longitudinale, en essayant de voir si, dans la durée, pouvait être observé un effet de la pratique des échecs sur les autres disciplines scolaires. On peut citer Christiaen et Verholfstadt (1978) qui ont conduit une expérience auprès d’enfants âgés de 9 à 11 ans, qu’ils ont suivi sur une période de deux années. Ceux-ci, qui pratiquaient les échecs une fois par semaine, ont réalisé à l’issue de ce temps des épreuves contrôle et leurs résultats furent comparés à ceux d’un groupe de sujets contrôle. La plupart des tests sur des tâches de type piagétiennes et sur des matières scolaires donnèrent un avantage significatif au groupe joueur. Toutefois aucune réplication n’a été faite à ce jour de ce type de travail, hormis le cas de scolaires au Zaïre (Franck & d’Hondt, 1975).

En amont de la présentation de ces analyses, posons avant toute chose une remarque de bon sens qui éclaire notre travail.

Dans l’esprit d’aucun des auteurs dont nous avons examiné le travail, pas plus que dans le nôtre, n’est présente l’idée qu’une pratique intensive ferait de jeunes enfants des petits génies ou de petits monstres de calcul, voire même des Kasparov en herbe. La seule préoccupation légitime des auteurs est l’étude sur un grand nombre de sujets des composantes d’une activité particulièrement riche au plan cognitif. Nous n’avons pas identifié de travaux ayant porté sur des cas singuliers comme par exemple des sujets ayant pratiqué de façon intensive et plus ou moins volontaire ou guidée par des proches faisant peu de cas du libre choix de leur enfant. Il faut dire que certains auteurs, qui ont travaillé sur la nature de l’expertise échiquéenne chez l’enfant, ont conclu à l’absence de liens entre expertise et intensité élevée de l’activité. Ainsi, réfutant l’hypothèse avancée par Anderson (1985) faisant reposer l’expertise échiquéenne sur la pratique assidue, Holding (1985) et Pfau (1988) ont-ils mesuré une très faible corrélation entre le nombre d’heures de pratique et le classement des jeunes joueurs (r < .10). Holding (1985, p.227) établit qu’il n’y aurait pas chez le jeune joueur d’aptitude particulière dans le domaine visuo-spatial et conclut son étude d’une phrase empreinte d’une grande prudence que nous faisons nôtre : ‘» les joueurs d’échecs sont pratiquement comme tout un chacun, sans rien de plus’. (p.227) » 

Nous pouvons schématiser les divers points qui seront abordés dans ce chapitre de la façon suivante :

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