12 La nature de l’expertise

Pour déterminer comment l’expertise intervient, les auteurs ont effectué une analyse du chunking selon deux modèles différents : celui de Chase (1973) en mesurant les pièces rappelées à l’intérieur d’un intervalle de 2 secondes, et celui de Bratko (1986) qui examine la fréquence du rappel de certaines pièces.

Le nombre moyen d’items par chunk est peu différent entre les enfants experts et novices (2.0 pièces rappelées par chunk vs 1.8).

Le calcul sur un intervalle de 3 secondes et demi conduit en revanche à des résultats qui deviennent significatifs, et une relation parfaitement corrélée entre l’intervalle de temps et le nombre et le poids moyen des chunks est constatée.

L’interprétation qui peut être donnée de ces résultats est celle d’un temps initial de réflexion pour la reconstitution d’un chunk qui caractériserait les experts : ceux-ci rappellent un plus grand nombre de pièces et de chunks mais le chunking prendrait plus de temps.

La méthode d’analyse proposée par Bratko, Tancig et Tancig (1986) mesure le chunking à travers la fréquence relative du rappel de certaines pièces avec d’autres. L’hypothèse est que si certaines pièces sont fréquemment rappelées avec d’autres par une grande proportion des sujets c’est qu’elles sont encodées et reconstituées en tant que parties à un même chunk. Il s’agit là d’une méthode qui rend compte de façon plus qualitative du mode de fonctionnement du chunking.

Les experts rappellent pour presque la moitié d’entre eux les mêmes 12 pièces dont l’examen détaillé montre qu’elles appartiennent aux patterns des Rois roqués des deux camps, alors que les novices ne rappellent pour quarante pour cent d’entre eux que 5 pièces identiques non attachées à un pattern quelconque. Cela indique que les experts reconstruisent la position en suivant une méthode semblable, rappelant d’abord les chunks qui leur sont les plus familiers, tels les Rois roqués.

On doit conclure de ces deux méthodes d’analyse que l’enfant expert mobilise des composantes identiques à celles de l’expert adulte mises en évidence par Chase (1973) et Gobet (1996). Et la part de la base de connaissances spécifique est confirmée en tant que composante primordiale de l’expertise. Il n’y aurait par conséquent aucun effet de l’âge sur ces stratégies de mémorisation, ni limitation due à celui-ci.

Si, en conclusion des expériences de Schneider et al. (1993), il apparaît que la mémoire est la première concernée par la constitution d’une expertise dans un domaine quel que soit l’âge, on doit relever également les effets secondaires sur la capacité d’apprentissage en résultant. L’expert apprend plus vite dans son domaine, attestant par conséquent d’un effet cumulatif de l’expertise.

Le point sur lequel pourtant le travail rapporté de Schneider et al. laisse dans l’incertitude est la réalité du transfert à d’autres domaines des habiletés développées dans un domaine d’expertise. Les résultats obtenus dans la tâche contrôle de rappel d’objets sont ambigus puisqu’aucun effet simple n’est observé, même si nous sommes à la limite de la significativité, alors que l’interaction des variables expertise et apprentissage l’est de façon très robuste.

Une de nos expériences aura pour objectif de revenir sur ce type de protocole d’une tâche contrôle afin de vérifier s’il y a ou non transférabilité de l’habileté du chunking.

Après l’étude des liens entre mémoire et pratique du jeu d’échecs, d’autres travaux se sont attachés à examiner la composante logique développée par celui-ci.