31 Les conditions d’acquisition d’une procédure

La rapidité d’intégration d’une règle a été étudiée par Yoskowitz (1991) et Fisk et Llyod (1988) sur des sujets très jeunes. Nous analyserons la seule expérience de ces deux derniers auteurs.

Il s’agit de débutants à qui on apprenait les règles de déplacement des pièces et de capture des pièces adverses. Le protocole retenu comportait la démonstration des règles de capture pour l’ensemble des pièces, puis une séquence d’application de celles-ci. Cette séquence consistait en la présentation sur un écran d’ordinateur de six pièces d’une couleur et d’une pièce de couleur adverse ( cf. figure 28) ; une seule des six pièces pouvait capturer la pièce adverse. Les sujets devaient décider laquelle des six pièces pouvait capturer la pièce adverse et exprimer leur choix en appuyant sur la touche de la première lettre du nom de la pièce qui capturait.

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Figure 28 : Tâche d’entraînement aux règles de déplacements et à la capture (Fisk & Llyod, 1988).

Sur les 24 premiers essais, le taux d’exactitude s’élevait à 83%, et après 800 essais il montait à 96%. L’apprentissage chez un débutant complet est donc extrêmement rapide, de quelques semaines.

Le protocole nous éclaire également sur un deuxième point, à savoir sur la manière d’apprendre, qu’il nous faut relever au regard de la question de la didactique du jeu, l’un des objets de notre recherche. La démarche suivie par les expérimentateurs est celle d’une interrogation comparative : à chaque essai le sujet doit comparer les modes de déplacement de chacune des pièces pour vérifier laquelle peut capturer. Cette méthode expérimentale réfère à la théorie de la décision, laquelle postule que la décision repose sur la comparaison de diverses possibilités en fonction d’un but à atteindre. En cela, elle respecte deux principes didactiques essentiels.

Premier principe : le sujet apprend un déplacement par rapport aux autres déplacements, par différenciation entre chacun des déplacements. Il lui est proposé une comparaison, laquelle aide à intégrer la notion grâce à sa relativité aux autres. Nous savons que les modèles du type « A c’est comme B » ou « A c’est différent de B » sont beaucoup plus efficients que les modèles d’isolement de la notion ou du concept à apprendre.

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Figure 29 : Didactique : approche par les interactions vs approche par la compilation des notions.

Deuxième principe : le sujet apprend en ayant un but à atteindre, à travers une action, en l’occurrence prendre une pièce adverse. Il s’agit là d’un autre principe de didactique reconnu : l’apprentissage par l’action. Une telle séquence d’action est indispensable, si l’on veut que le sujet passe du stade de la compréhension à celui de l’appropriation active de la notion apprise.

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Figure 30 : Deux modèles d’apprentissage : action vs notion.

Les résultats de Fisk et Llyod (1988) répliquaient ceux obtenus par Saariluoma (1984) dans une tâche consistant à décider si des mats étaient possibles ou non.

Dans son protocole, Saariluoma (1984) proposait à des novices, à des joueurs expérimentés et à des maîtres des positions pour lesquelles les sujets devaient répondre le plus vite possible s’il y avait mat ou non en un coup. Pour 30 des 70 positions présentées le mat était possible, 20 impossible, et dans 20 positions le mat était possible mais en deux coups seulement. Plus que le résultat principal portant sur la vitesse de la réponse liée au niveau échiquéen, c’est le taux d’exactitude que nous relèverons. Pour les novices, le taux d’erreurs sur les positions pour lesquelles le mat en un coup était possible n’est que de 3%. Le novice est par conséquent tout à fait capable d’intégrer une série d’opérations comparatives des déplacements des pièces en fonction d’un but à atteindre - trouver le mat en un coup - même lorsqu’il est novice. Cette tâche complexe lui est accessible très tôt. En revanche, les taux d’exactitude chutaient sensiblement lorsqu’il s’agissait de traiter les positions pour lesquelles il y avait mat en deux coups.