22 Les modèles récents sur l’architecture cognitive

Les modèles récents d’architecture cognitive sont désormais plus connexionnistes, la question principale étant non plus la structuration des connaissances selon des niveaux plus ou moins abstraits mais leur fonctionnement en situation. Ils sont également multidimensionnels, le développement cognitif ne reposant plus sur un processus unitaire et linéaire fondé sur la substitution d’états, mais sur la pluralité de processus intervenant et se développant en parallèle et qui seraient liés à des situations et contextes spécifiques à chaque sujet, et surtout plus ou moins contrôlés par le sujet par la mobilisation de processus métacognitifs.

Ainsi Reuchlin (1978) postule-t-il que chaque sujet dispose d’un répertoire de processus cognitifs capables de remplir une même fonction dans la majorité des situations rencontrées. Son modèle comporte cinq propositions :

  1. dans nombre de situations un sujet dispose de plusieurs processus cognitifs,

  2. certains de ces processus sont plus facilement évocables, ce qui conduit souvent à ce qu’un seul soit activé,

  3. la hiérarchie d’évocabilité des différents processus varie selon les sujets,

  4. cette hiérarchie d’évocabilité peut changer selon les situations,

  5. dans une même situation, tous les processus évocables ont une efficacité différente, laquelle dépend largement de l’expérience du sujet.

De par ce système de processus vicariants, l’individualisation des processus distingue fortement ce modèle des conceptions antérieures, tout comme l’idée que l’efficacité de ceux-ci sera largement dépendante du sujet et de la capacité de celui-ci à contrôler la stratégie suivie.

Lautrey (1990) dans son modèle pluraliste de développement cognitif ajoute quatre éléments au modèle de vicariance de Reuchlin :

  1. plusieurs processus sont évocables et mobilisables en parallèle,

  2. les pondérations des processus recrutés en parallèle peuvent être différentes selon les sujets,

  3. il peut y avoir interaction de deux processus recrutés simultanément,

  4. cette dynamique entre les deux processus recrutés et de poids différent est source de développement.

Enfin, reprenant la théorie du conflit cognitif entre une connaissance antérieure et la connaissance née de la situation nouvelle traitée, Lautrey postule que l’interaction engendre une dynamique auto-organisatrice, laquelle est l’une des bases du développement.

  1. l’interaction est spécifique au sujet et, selon les périodes de développement, elle donne lieu à des chemins cognitifs différents de développement.

Ce dernier point libère du conflit ancien opposant Piaget et Bruner sur la genèse de la conservation (expérience princeps sur l’équivalence perçue des volumes de liquides selon la taille des récipients). C’est en effet l’interaction entre le traitement de l’évaluation des dimensions de la transformation et le traitement de l’identité quantitative de l’objet qui définit l’état du développement. Il n’est plus besoin de retenir le modèle à trois systèmes de représentations de Bruner (1964), qui voit le sujet passer de l’un à l’autre à diverses étapes de son développement – systèmes enactif, iconique et symbolique- .

On peut dégager de cette évolution au plan théorique trois conclusions au regard de notre objet de recherche.

Premièrement, l’accent mis sur le rôle de la mémoire de travail et sur les stratégies de traitement. Deuxièmement, l’importance pour le développement cognitif des facteurs de conflit cognitif et de leur résolution par la mise en oeuvre de phénomènes d’inhibition dans les situations contextualisées d’acquisition de connaissances. Enfin, la mise en évidence, grâce aux travaux sur les paradigmes expert-novices, qu’au cours du développement l’organisation et la structuration de la base de connaissances est une composante essentielle.

Ceci est illustré par les modèles de Pascual-Leone et de Case.

Pour Pascual-Leone (1987), le développement de la mémoire de travail est la source principale du développement cognitif. Pascual-Leone parle de capacité mentale liée à la maturation des zones du cerveau, évaluée en termes d’énergie mentale et constituant une sorte de réservoir de ressources organisées en schèmes. L’apport original de la recherche de Pascual-Leone porte sur l’évitement des situations-pièges (semblable au piège perceptif, dans le système iconique de Bruner, que constitue la hauteur du récipient d’eau dans l’expérience de conservation) par l’inhibition des « schèmes  dangereux » (Piaget) utilisés habituellement dans des situations semblables. Cette capacité d’inhibition autorisant le recours à des stratégies contrôlées serait la vraie mesure du développement cognitif en ce qu’elle régule les conflits cognitifs apparus lors d’une tâche.

Case (1987a) parle, lui, non de capacité mentale mais de mémoire de travail, distinguant l’espace opérationnel et l’espace de stockage. L’efficacité du premier dépendrait à chaque stade de développement de l’état du cortex préfrontal, et l’accroissement de ses performances, notamment de la vitesse, libérerait autant de ressources pour la fonction stockage. Ceci permettrait, quand tous les processus caractéristiques du stade de développement sont efficients, de passer à un stade suivant. Case, comme Anderson, accepte le concept d’expérience grâce à laquelle s’acquierent une vitesse et une automaticité des processus. C’est cette expérience qui construit et organise la base de connaissances autour des contextes d’acquisition ou de modification.

Dans cette conception, la résolution de problèmes n’est plus le résultat de l’application de règles logico-mathématiques mais dépend de l’activation de connaissances contextualisées, et au nombre de ces connaissances figurent les composantes de la métamémoire formée par l’expérience.