33 - Les conflits cognitifs en résolution de problèmes

Nous devons mentionner cette notion de conflit cognitif dans ce chapitre de la résolution de problèmes dans la mesure où les difficultés peuvent surgir dès l’origine du problème c’est-à-dire à la lecture de l’énoncé et dans l’interprétation des termes de celui-ci. Le sujet qui lit un énoncé le fait en s’aidant de son stock de connaissances, ce qui peut l’aider lorsque ce recours est délibéré et explicite. Il peut également recourir de façon implicite à ses connaissances préalables et ne pas déceler qu’il détourne tout ou partie des termes de l’énoncé et s’enferme dans un schéma présupposé le conduisant à une impasse.

Il en est ainsi chaque fois que le sujet ajoute à l’énoncé un terme ou une contrainte qui n’y figure pas par une « importation aveugle » (Richard, 1990), ce qui le prive de la possibilité d’investiguer l’espace problème avec toute la liberté de recherche de solution nécessaire et utile. Un autre type de comportement tient, à l’inverse, à la rigidité fonctionnelle qui empêche de poser sous tous les angles un problème, ou tout simplement de trouver comment le problème peut être posé : c’est le cas de la famille des problèmes pour lesquels ce qui est en cause est précisément la question de savoir comment poser le problème afin d’entrer dans une recherche de solution.

Le classique cas des deux cordes (Maier, 1931) illustre la nécessité fréquente de restructurer le problème, c’est-à-dire de le poser différemment si l’on veut trouver une méthode de résolution. Attacher les deux cordes entre elles est impossible si le sujet imagine, après avoir saisi la première, tenter d’atteindre la seconde, laquelle restera hors de sa portée. Devant ce constat le sujet doit poser différemment le problème : comment rapprocher une corde, par quelle opération, ce qui le conduit à découvrir qu’il doit donner un mouvement de balancier à l’une des cordes afin que lors des mouvements il puisse atteindre le bout de la corde depuis sa position médiane une main agrippant l’autre corde. Il y a eu restructuration du problème, lequel n’était plus d’attacher les deux cordes mais de créer un mouvement de balancier mettant à portée de main l’une des deux. Si cette transposition du problème n’est pas opérée du fait d’une rigidité fonctionnelle – la corde pend, il faut l’attraper tout en tenant la deuxième – il y a impasse.

On retrouve le concept de rigidité fonctionnelle (Duncker, 1926) évoqué dans le cas des bougies à accrocher au mur. Etre fixé sur la fonctionnalité première de la boîte d’allumettes - contenir les allumettes - rend impossible de voir qu’une fois vidée, la boîte peut servir de réceptacle à la bougie ; le problème restructuré devenant comment fixer au mur la boîte d’allumettes et non pas comment fixer au mur les bougies.

Le problème des neuf points de Scheerer (1963) illustre une autre forme de rigidité non pas dans la lecture fonctionnelle des objets mais dans la lecture de l’énoncé. Dans ce problème, il y a déformation de l’énoncé initial par ajout implicite de contraintes qui rendent insoluble le problème, ce qui conduit à un glissement de sens et à une impasse. Le sujet voit dans le graphe des neuf points un carré dans lequel il s’enferme pour tracer les quatre segments de droite auxquels il a droit pour relier les points sans lever le crayon. L’absence de conscience qu’une opération mentale est ajoutée par le sujet lorsqu’il lit l’énoncé le conduit à penser que la solution est impossible. S’il tente de comprendre comment il interprète l’énoncé par le questionnement des termes de cet énoncé - questionnement relevant typiquement d’un travail métacognitif - alors surgira la contrainte supplémentaire qu’il ajoute et dont il pourra sortir.

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Cette notion de rigidité fonctionnelle est essentielle lorsque l’on examine les questions relatives au transfert car le même phénomène s’applique. Devant un problème nouveau, le transfert par analogie à un problème connu peut enfermer dans une impasse si une partie des termes de l’énoncé est différente, rendant nécessaire une transposition d’une structure de données initiale à une autre. Ceci a été mis en évidence dans le classique problème des jarres d’eau de Luchins (1959). Le protocole retenait deux groupes : un groupe expérimental qui se voyait proposer des problèmes dont la méthode de résolution était identique, un groupe contrôle à qui étaient soumis des problèmes à résoudre selon des méthodes différentes. Puis, les deux groupes étaient confrontés à un problème test pouvant être résolu soit par une méthode simple soit par la méthode plus complexe appliquée par le groupe expérimental. Lors de la résolution du problème-test, le groupe expérimental s’était attaché à résoudre le problème en recourant à la méthode plus complexe apprise, alors que le groupe contrôle avait immédiatement recouru à la méthode la plus simple. La fixation des sujets du groupe expérimental sur la méthode de résolution apprise les avait empêchés de voir qu’il existait une méthode plus simple.

L’ensemble de ces facteurs handicapant la faculté de fraîcheur du regard porté sur un problème met en évidence l’importance de l’étude et de la prise en compte des connaissances antérieures et des stratégies intuitives et implicites de manipulation des données initiales d’un problème dans un sens plus facilitateur.

Cette prise en compte constitue l’une des tâches préliminaires à la construction d’une didactique d’un corpus. L’identification et la mise à jour en vue d’un rafraîchissement des réseaux sémantiques activés à la lecture de l’énoncé sont des points que nous devrons aborder dans notre discussion générale sur la stratégie du transfert (cf. 6ème partie) au vu de la théorie connexionniste de la connaissance