12 L’approche connexionniste de la connaissance

La notion classique de la connaissance repose sur l’unicité de la représentation et de l’appartenance à un réseau sémantique hiérarchisé (Collins & Quillian, 1969). La trace mnésique de la connaissance est unique et le modèle d’activation est séquentiel, la perception de traits distinctifs donnant l’accès au concept selon des règles de typicité et de spécificité (Smith et al. 1974), ou bien selon une hiérarchie des propriétés (Collins & Quillian, 1969). Les travaux sur la MLT ont bouleversé cette vision uniciste. Pour les auteurs tenant des modèles de la mémoire à long terme, (Estes 1994 ; Hintzman 1986 ; Medin & Schaffer 1978 ; Nosofsky 1991), la connaissance est constituée de traces multiples différentes les unes des autres : les traits de surface perceptifs sont distincts des propriétés de nature sémantique ainsi que des valeurs émotionnelles qui peuvent lui être liées. La connaissance est également très épisodique, c’est-à-dire se modifiant par accumulation d’expériences, son stockage étant fortement contextualisé. Ce point a pour corollaire le fait que la connaissance est en perpétuelle modification et que tout nouveau contexte vient l’enrichir et l’amender. Enfin, elle est distribuée, c’est-à-dire stockée sur des réseaux neuronaux divers et elle n’est pas localisée en un lieu unique, ce qui est la conséquence directe de son caractère multi-dimensionel. L’activation d’une connaissance peut en conséquence intervenir par l’une quelconque de ses diverses facettes ou entrées possibles, une entrée activant en réseau par diffusion neuronale les diverses composantes utiles en fonction de l’élément-but lié au contexte et en réaction au contexte d’activation. Cette activation pourra être asynchrone, c’est-à-dire intervenir en des instants différents selon l’interaction entre ses diverses composantes et les autres connaissances au cours du contexte d’utilisation.

On peut, avec Nososky (1991, 1997), schématiser l’approche connexionniste de la connaissance (Fig 36).

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Figure 36 : L’approche connexionniste de la connaissance (Nosofski, 1991).

La deuxième composante de l’approche connexionniste porte sur les processus d’activation et de rétro-propagation de la nouvelle connaissance dans les réseaux sémantiques existants, et sur les interactions entre composantes de celle-ci.

Si l’hypothèse de travail est que nous sommes en présence d’états successifs de la connaissance qui sont enrichis au gré des diverses activations directes, connexes ou secondaires, la question de la dynamique des niveaux de compréhension devient alors principale. Pour un état donné du réseau sémantique constitué pour une connaissance A par les composantes de celle-ci et les contextes situationnels d’encodage d’une part, et par les interactions entre A et les connaissances X, Y reliées sémantiquement à A, correspond un niveau de compréhension 1. Lorsque de nouvelles entrées, c’est-à-dire de nouveaux emplois de A dans des contextes ultérieurs plus ou moins similaires, interviennent, le niveau de compréhension change partiellement et se stabilise temporairement à un état 2. Dans le même temps une rétro-propagation pourra intervenir sur l’état des connaissances X et Y, selon que la pertinence et l’état de satisfaction au regard du but liés à la nouvelle entrée de A auront été validés.

Cette question des interactions se pose différemment selon que les unités de connaissances sont des unités proches et associées, ou des unités hétérogènes peu reliées sémantiquement (mémoires auto-associatives ou hétéro-associatives) d’une part, et selon qu’elles sont à unités simples non cachées ou à unités multiples ou multicouches, certaines étant intercalées entre l’entrée et le sortie. Dans les cas simples ou explicites entre l’entrée et la sortie, le réseau d’interconnexions répond à la loi des poids de connexions antérieures : je reconnais un visage par les connexions établies entre les pixels de l’image antérieurement traitée à plusieurs reprises, laquelle sert d’attracteur en vue d’un traitement immédiat et d’une proposition d’interprétation me faisant dire « c’est bien untel ». Si « untel » porte soudain une barbe, j’ai du mal à le reconnaître car le vecteur à l’entrée n’a plus le même poids dans la matrice de connexion puisqu’il ne correspond plus au vecteur stocké. Dans de nombreux traitements entre entrée et sortie s’intercalent des unités cachées, et interfèrent des connaissances ou éléments implicites venant perturber la matrice de connexion. Cette part cachée du cognitif, cette boîte noire en quelque sorte, constitue le vrai défi pour les sciences cognitives. Elle donne un relief particulier à l’émergence d’une capacité métacognitive chez le sujet, laquelle pourra l’aider à diminuer la part implicite qu’il traite en aveugle au cours de la tâche, en développant son expertise d’auto-contrôle des stratégies suivies et de ce qu’il ajoute au cours du traitement sans rapport à la tâche.

Nous le voyons les processus intervenant dans cette dynamique de la compréhension sont multiples et chacun devra être pris en compte dans une didactique du transfert. Notons de ce point de vue que les modèles connexionnistes de la connaissance ne sauraient rendre compte, en l’état actuel des recherches, des facteurs constituant l’intentionnalité du but poursuivi et du sens donné par chacun à la connaissance en fonction de ses rapports à autrui. Dans une tâche cognitive, la psychologie cognitive ne peut à ce jour appréhender par une sorte d’analyse en composantes principales semblable à celle des statisticiens le poids des vecteurs autres que ceux de la seule connaissance, que sont l’intention, le sens et le rapport au monde, et l’altérité. Les patterns des valeurs d’activation autant que les matrices de la force des connexions n’intègrent que peu d’éléments autres que sémantiques au sens orthodoxe du terme.

Comme le relève Tiberghien (1997) :

‘« Le connexionnisme a autant de difficulté que le cognitivisme à rendre compte des difficiles problèmes de l’acquisition de la signification, de la référence (rapport au monde) et de l’intentionnalité. » ’