13 La dynamique entre capacités métacognitives et domaine spécifique des connaissances : les expériences et le modèle de Schneider (1990, 1992, 1998)

Est-ce que le métacognitif apporte vraiment une différence de performance dans le cas où la tâche concerne un domaine de connaissances riche en contenu spécifié ?

A cette question essentielle les tenants de la théorie ‘Domain-Specific’ répondent par la négative, alors que des travaux autour de la théorie du ‘Domain-General’ autorisent certains auteurs à conclure différemment. Est-ce qu’il existe des stratégies de mémorisation, ou portant sur d’autres activités cognitives, qui soient transversales et transférables du domaine d’expertise dans lequel des connaissances ont été construites à d’autres domaines de connaissances ? Sur cette deuxième question, les mêmes camps s’affrontent : les tenants de la théorie ‘domain-specific’ argumentent à partir de certaines études sur l’expertise (Ericsson, Krampe et al., 1993). A l’opposé, les auteurs qui privilégient la thèse de la métamémoire croient à la pertinence de principes généraux de stratégies de mémorisation applicables à de nouveaux contextes ou corpus d’items.

Le modèle de Schneider aide à clarifier les points de vue divergents et solidement argumentés des deux écoles en démontrant l’existence d’interactions entre les connaissances d’un domaine spécifique et les connaissances plus générales au niveau métacognitif.

Dans une première étude déjà mentionnée, sur le rappel de textes relatifs au football chez des sujets d’âge scolaire experts ou novices en matière footbalistique, Schneider (1990) montre que les sujets ayant les meilleures capacités métacognitives étaient plus performants dans le rappel que leurs camarades ayant de moins bonnes capacités métacognitives (cf. fig 37).

message URL FIG037.gif
Figure 37 : Rappel moyen selon l’expertise et le niveau métacognitif. (data from Körkel,1987) d’après Schneider, 1998, p.93.

Au vu de ces résultats, le point qui devait être toutefois soulevé au plan expérimental était de savoir quelle variable, de l’expertise au football ou de la capacité métacognitive, était à l’origine de la performance pour les sujets du groupe 4 (experts MC+). Rien n’autorisait en effet à déduire des scores plus élevés pour ceux-là que la variable MC prévalait sur la variable expertise. Rien ne permettait deuxièmement de savoir laquelle des composantes procédurale ou déclarative de la capacité métacognitive était recrutée.

Un deuxième protocole, (Körkel & Schneider, 1992) a permis de répondre à l’une de ces questions. Bien plus que les connaissances métacognitives déclaratives, ce sont les connaissances métacognitives procédurales qui sont un bon prédictif de la performance au rappel (.48) comme cela est illustré dans la figure 38.

message URL FIG038.gif
Figure 38 : Rappel et part respective des diverses composantes cognitives. From Körkel & Schneider, 1992.

On relèvera également avec les auteurs le lien assez fort entre le domaine d’expertise et le taux de rappel ( .52) et, de surcroît, le fort coefficient de l’effet du domaine d’expertise sur la composante métacognitive procédurale (.83), alors que la composante métacognitive déclarative intervient très faiblement dans la performance du rappel.

Ces résultats confirment le rôle principal joué par le domaine d’expertise et mettent en évidence le lien effectif et primordial entre celui-ci et les connaissances métacognitives procédurales. Ils confortent également l’impact direct et indépendant des connaissances métacognitives procédurales (.48) sur le taux de rappel. C’est par conséquent cet effet qui explique l’avantage des sujets non experts en football sur leurs camarades experts dans l’expérience rapportée ci-dessus. En d’autres termes, le niveau élevé de richesse du domaine spécifique ne limite pas l’intervention des compétences métacognitives, en l’occurrence de la métamémoire, lesquelles jouent un rôle effectif indépendamment du domaine.

Dans une seconde expérience Schneider (1990) a utilisé non plus une tâche de rappel de mots mais un paradigme différent avec une tâche de classification de listes d’items en vue du rappel. Le protocole comprenait deux séries contrebalancées, l’une de dessins tous reliés au football, l’autre composée de dessins d’objets familiers. Il était demandé aux sujets durant le temps d’étude des stimuli (2 minutes) de faire tout arrangement des items qui leur permettrait de mieux retenir ceux-ci. Puis, il était demandé avant le rappel d’estimer le nombre d’items qu’ils pensaient pouvoir rappeler.

Avant le rappel intervenait une tâche interférente, sous la forme d’un empan numérique. L’hypothèse expérimentale était double : étaient attendus à la fois un effet de l’expertise dans la tâche de classification d’items liés au football et un effet de la composante métacognitive dans les deux séries de listes. Afin d’opérer des intercorrélations entre variables, un pré-test était passé par tous les sujets pour évaluer leur métamémoire.

Des résultats identiques à ceux de la première expérience furent trouvés (fig 39).

message URL FIG039.gif
Figure 39 : Rappel items non footballistiques. D’après Schneider (1998, p.98).

Les experts étaient plus performants que les novices pour les items de la série football ( p<.O1), mais ils l’étaient également pour la seconde série ( p<.05). Les sujets organisaient mieux les items en vue de les classer ou regrouper par catégories, ce qui était à l’origine de leur meilleur résultat hors le champ de leur expertise ( p<.05). En outre, les performances chez les sujets experts ou non, identifiés comme MC+, étaient supérieures pour les listes d’items hors football. L’effet de la variable capacité métacognitive était donc présent. Ces sujets MC+ étaient beaucoup plus justes dans leur prédiction de performances que leurs camarades, ce qui semble être un indicateur de la conscience de pouvoir suivre une stratégie en laquelle on a confiance et de l’existence d’une composante émotionnelle au nombre de capacités métacognitives.

Le modèle décrivant les intercorrélations entre les diverses variables prédictives du taux de rappel des listes de mots est schématisé dans la figure 40. Il laisse apparaître clairement le poids de la composante stratégie (.81), qui regroupe les aptitudes mesurées au regroupement en sous- ensembles et au tri, dans la performance du rappel. Cette capacité stratégique est elle-même fortement corrélée avec la métamémoire (.74).

message URL FIG040.gif
Figure 40 : Impact des différentes composantes sur le taux de rappel d’items non footballistiques. d’après Schneider (1998).

Le schéma permet également de calculer la part indirecte de la métamémoire à travers la stratégie dans la performance de rappel (.06). Nous ne consacrerons pas de développement particulier sur la part très relative de la capacité de la MCT ou du facteur quotient intellectuel dans la composante métamémoire, ceci étant éloigné de l’objet de notre recherche.

*** Les conclusions des expériences de Schneider et collaborateurs et le modèle d’analyse des interactions entre domaine d’expertise et métamémoire qu’ils en tirent sont essentielles au regard de la problématique qui nous occupe : si une fonction métacognitive est mobilisable, indépendante du domaine d’expertise de la tâche, et si une interaction forte existe entre le domaine d’expertise et les capacités métacognitives procédurales, alors la question d’une intervention didactique au plan du transfert métacognitif durant la construction de l’expertise devient pertinente et doit être étudiée. Ceci valide notre hypothèse de travail et nous suggère une méthodologie de recherche d’interactions entre variables métacognitives et variables cognitives principales recrutées dans une tâche.

D’autres expériences ont attesté de l’existence du transfert métacognitif dont nous allons rendre compte.