1-Métacognition et modèles d’apprentissage

11 - Les modèles classiques

Nous présenterons les quatre modèles principaux d’Anderson (1976), Karmiloff-Smith (1986), Siegler (1989a) et Chi (1978).

11-1 - Le modèle d’Anderson

Ce modèle distingue trois composantes de l’apprentissage, et trois phases temporelles.

  1. trois composantes sont :
    1. l’acquisition de connaissances. Au cours de cette acquisition, les connaissances se relient entre elles en réseaux, ces liens associatifs étant plus ou moins forts. Les notions essentielles de ce processus sont les notions de force ou de poids des liens, de renforcement des associations, et de propagation de l’activation des connaissances à travers ce réseau associatif. L’étendue de la base de connaissances et son organisation sont un élément de la performance. Chi et al., (1989) l’ont illustré pour le paradigme de l’expert ;

    2. l’interprétation de la connaissance, c’est-à-dire son usage en situation réelle à l’aide d’une stratégie contrôlée de traitement de l’information, qui peut être formalisée par la création d’une règle de production ;

    3. l’acquisition de connaissances sur son propre usage de stratégies contrôlées, c’est-à-dire d’une méta-connaissance procédurale. Ces stratégies contrôlées peuvent être quasi automatiques, correspondant aux « systèmes adaptatifs de production » de Waterman (1970). Mais, selon Anderson, elles sont plus souvent contrôlées jusqu’à ce que la probabilité de la performance soit suffisamment élevée pour être « procéduralisées» et appliquées automatiquement, ou généralisées. C’est grâce aux processus de généralisation et de discrimination que l’apprentissage est contrôlé, et que les règles ou stratégies acquises sont assouplies ou ajustées (tuning). Ensuite, peut intervenir le renforcement des règles, ultime étape, selon le modèle ACT d’Anderson (1976), du processus de contrôle de l’apprentissage. Le résultat de l’action est valorisé et il y a renforcement en cas de succès de l’action. La question du renforcement est une question clé en psychologie de l’apprentissage, et dépend largement du mode de traitement de l’information en feed-back sur l’action.
      Pour Anderson, contrairement à d’autres auteurs comme Schneider ou Pressley, la connaissance méta-procédurale, c’est-à-dire la connaissance de l’efficacité des stratégies employées et leur interprétation, n’est pas un facteur majeur d’amélioration des performances.

  2. les trois phases sont :
    1. la phase déclarative ou cognitive, appelée contrôlée* chez Schiffrin et Schneider. Le sujet réalise une action lentement en énonçant ce qu’il fait ; ainsi le débutant déplacera-t-il une pièce sur l’échiquier en se rappelant, souvent à haute voix et de façon lente et contrôlée, les règles du déplacement apprises ;

    2. la phase procédurale ou associative, ou automatique* chez Schiffrin et Schneider. Le sujet déplace la pièce sans faire attention à la règle qui est devenue une procédure automatisée, il n’est plus centré sur la règle mais sur la liberté fournie par celle-ci, par exemple les cases où il peut déplacer ses pièces.

    3. phase de tuning, ou d’ajustement autonome* chez Schiffrin et Schneider. Le sujet combine et ajuste la liberté donnée par plusieurs procédures automatisées en vue d’opérer un traitement plus complexe et plus élaboré ; il y a généralisation des règles de production, c’est-à-dire dépassement de leur champ d’application stricte par combinaison ou fusion de plusieurs règles ou degrés de liberté.

Dans certaines tâches complexes, certaines composantes ou sous-habiletés peuvent être à des phases différentes de la tâche globale, par exemple telle sous-tâche sera automatique tandis que telle autre sera plus contrôlée.

Le caractère récurrent des phases fait que, dans des tâches complexes, le passage à une étape pour une sous-tâche peut soudainement éclairer ex-ante d’autres sous-tâches et modifier sensiblement le degré de compréhension global. Il s’agit là de la notion de saut qualitatif, de passage à une nouvelle étape de compréhension. La faiblesse dans une sous-tâche tire vers le bas la performance et, subitement, lorsqu’elle est améliorée, il se produit un changement radical dans le niveau de la performance globale : tout s’éclaire pour le sujet.

Selon ce modèle ACT d’acquisition d’une habileté d’Anderson (1989) les connaissances acquises lors d’un apprentissage sont encapsulées, enregistrées et transformées en procédures appelées règles de production. Il ne peut y avoir transfert entre deux tâches que si les deux tâches partagent ces règles de production ou éléments communs. C’est ce principe qui entraîne le corollaire de la spécificité d’usage d’une connaissance et a conduit l’auteur à poser l’impossibilité du transfert d’une connaissance acquise lors de l’apprentissage d’une habileté à une autre habileté voisine, même si certaines notions sont communes à ces deux habiletés. Comprendre un programme informatique n’est pas gage de performance dans l’acte d’écrire un programme informatique, même si dans ces deux domaines, il y a connaissances communes, telles que les définitions et les instructions d’un langage informatique (Mc Kendree & Anderson, 1987).

Ce modèle a prévalu jusqu’à ces dernières années. Puis, toujours dans le cadre de recherches sur les langages informatiques, de nouvelles expériences ont démontré le caractère non pertinent de la théorie du domaine spécifique d’usage. Pennington (1996), dans deux expériences, met en évidence l’existence de transfert de sous-habiletés dans le domaine de la programmation informatique, dès lors qu’il y a eu passage par une étape d’élaboration conceptuelle au cours de l’acquisition par le sujet des connaissances spécifiques. De même les travaux sur l’apprentissage intentionnel du transfert appliqués au thème de l’enseignement de l’informatique (LOGO) ont démontré que l’entraînement à la décontextualisation des connaissances acquises s’avérait efficace pour le transfert.

On s’éloigne de plus en plus de ce modèle restrictif du transfert, à la fois en acceptant de relativiser la spécificité d’usage d’une connaissance par la procéduralisation des connaissances les figeant à un domaine spécifique, mais aussi en contestant le passage obligé par la construction de règles de productions ou éléments communs pour qu’il y ait transfert entre domaines voisins.