32-1 Les expériences d’entraînement au transfert métacognitif

Selon les auteurs et les expériences, l’étendue et les conditions du transfert varient.

Pour Willis (1990), un entraînement à une tâche donnée peut être généralisé à d’autres tâches correspondant à cette habileté mais pas au-delà. Le transfert sera proportionnel à la nature de l’entraînement : si celui-ci porte sur la stratégie du sujet, il y a meilleur transfert que si l’entraînement a consisté exclusivement à répéter la tâche.

Ceci et Nightingale (1990) ont montré la considérable différence de performance dans une tâche complexe (cinq variables interdépendantes) dès lors que la formulation des données était familière et non abstraite au regard de l’expérience antérieure des sujets.

Chen (1984) a démontré l’efficacité d’un entraînement au transfert au cours de l’apprentissage de notions élémentaires de physique chez des collégiens.

Ericsson et ses collègues (1995) ont réussi à prouver que les performances mnémoniques n’étaient pas liées au domaine de l’expertise et qu’un entraînement permettait d’utiliser les connaissances d’un domaine d’expertise à d’autres domaines par transfert métacognitif d’une stratégie de mémorisation. Ils ont travaillé avec des coureurs en athlétisme dont la base de connaissances expertes était constituée essentiellement des temps des records et performances mondiaux. Ces coureurs avaient mémorisé des centaines d’informations en minutes et secondes selon les disciplines de la course à pied, sprint, demi-fond... L’entraînement auquel les a soumis Ericsson consistait à apprendre à mémoriser des séries de chiffres de plus en plus grandes. Le transfert opéré et observé a consisté en un rapprochement des chiffres à retenir avec les chiffres des records de courses de la base de connaissances puis à rappeler. Les séquences aléatoires de chiffres à retenir étaient progressivement augmentées, et les sujets sont passés en quelques semaines d’une capacité de rétention de quelques chiffres à presque quatre-vingt chiffres. Dans leurs protocoles verbaux, les sujets rapportaient qu’ils essayaient de rapprocher des sous-groupes de trois ou quatre chiffres de la séquence à des temps de records ; par exemple le sous-groupe 3, 4, 1, était mémorisé 3 minutes 41 secondes, soit le record du monde du mile de l’époque, une suite 9, 9, 8, était mémorisée sous la forme de 9 secondes 98 centièmes, soit le record du monde du 100 mètres de l’époque. Lorsque les chiffres de la série augmentaient, les sujets procédaient à un second mode de regroupements, les temps de records étaient regroupés en temps relatifs au demi-fond, ceux relatifs au sprint, ceux des épreuves de fond. La capacité d’organisation de la MLT était de façon évidente transférée pour l’encodage des nouvelles connaissances, l’organisation s’opérant selon le schéma hiérarchique d’Ericsson (1995) et Gobet (1996b), en chunks, templates, structures de relations entre patrons d’assemblage.

Cossey (1997) a mis en évidence chez des scolaires de 13 et 14 ans et demi la corrélation entre un travail métacognitif et les résultats en raisonnement mathématique : plus les occasions étaient répétées d’un travail méta dans des domaines aussi variés que des situations de vie quotidienne, la recherche des raisons justifiant une idée ou la recherche de patterns d’assemblage..., plus la performance mathématiques s’améliorait.

Kramarski et Mevarech (1997) ont élaboré une méthode de transfert métacognitif appliquée à l’enseignement des mathématiques, qu’ils ont dénommée IMPROVE, qui reprend toutes les étapes d’une intervention pédagogique centrée sur les processus d’acquisition au double niveau du corpus et du transfert :

Introducing the new topics to the whole class
Metacognitive questioning in small groups
Practicing
Reviewing
Obtaining mastery on higher and lower cognitive skills
Verifying and Enriching.

Dans des tâches de résolution de problèmes, les sujets ayant suivi cette méthode se sont révélés significativement plus performants que le groupe témoin. Dans une nouvelle expérimentation sur une durée d’une année scolaire auprès de 182 sujets de 12 ans et 4 mois de moyenne, Kramarski et Mevarech ont testé deux versions de leur méthode IMPROVE, la première consistant en une intervention métacognitive dans deux disciplines à la fois, l’anglais et les mathématiques, la seconde portant sur la seule matière des mathématiques (Kramarski & Mevarech, 2001) ; dans les deux cas, la pédagogie reposait sur un travail coopératif en petits groupes. Les résultats ont fait apparaître un avantage significatif du groupe ‘multilevel metacognitive training’ sur le groupe ‘unilevel metacognitive level’ dans la tâche contrôle portant sur un problème de vie quotidienne, tout comme dans la tâche de raisonnement mathématique.

Dans leurs expérimentations, ces auteurs ont travaillé sur une seule configuration d’enseignement, celle du travail coopératif, sans comparaison avec un dispositif de travail individuel. Ils s’appuient pour justifier ce choix sur la démonstration faite par d’autres auteurs de l’intérêt des formes de travail coopératif, dès lors que l’un des objectifs poursuivis est de faire surgir les connaissances antérieures et de les confronter aux apports nouveaux (Wittrock, 1986 ; Slavin, 1996). La phase d’auto-évaluation par petits groupes des stratégies suivies et de leur efficacité serait également plus fructueuse pour tous les sujets, y compris pour ceux présentant les moins bonnes capacités métacognitives (Mevarech & Light, 1992). Ces derniers sujets au cours du travail en commun d’élaboration d’une stratégie de résolution bénéficient des explications de leurs camarades et entendent leurs justifications et arguments préalablement à la réalisation de la tâche. Schoenfeld (1985) et Stein et al. (1996) ont attesté de l’utilité et de l’efficacité d’un telle discussion par petits groupes pour l’apprentissage des mathématiques.

Une didactique du transfert suppose, par conséquent, la prise en compte de ces éléments relatifs aux dispositifs de l’environnement d’apprentissage, tout comme doit l’être, parmi les formes possibles, le recours au mode ludique que nous allons brièvement aborder avant de les reprendre plus longuement dans la discussion générale (6ème partie).