3ème Partie
Le transfert des habiletés cognitives développées par le jeu d’échecs chez l’enfant : premier groupe d’expériences.

Notre premier ensemble d’expériences vise à vérifier si les habiletés cognitives mobilisées par la pratique du jeu sont spécifiques au domaine ou sont transférables, pour partie, à d’autres tâches non échiquéennes.

Comme pour toutes les habiletés requises par des tâches complexes, l’exigence expérimentale nécessite d’être capable d’isoler les diverses composantes de celles-ci ; il est par conséquent obligatoire de limiter une expérience à l’un des aspects, et de traiter les composantes l’une après l’autre.

Cet ensemble comporte en conséquence quatre expériences, qui couvrent les principaux processus dont nous avons dégagé précédemment la part principale qu’ils prenaient dans la pratique des échecs sous les trois grandes fonctions mémoire, visuo-spatiale et combinatoire.

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Figure 46 : Les processus cognitifs parallèles de l’habileté échiquéenne.

La première expérience porte sur le chunking visuo-spatial dont nous avons vu qu’il constituait le facteur principal de l’activité de construction de la base de connaissances et qu’il expliquait les performances au rappel de positions. Nous avons souhaité vérifier, dans un protocole reprenant une tâche de mémorisation et de rappel, si l’habileté du chunking était transférable, c’est-à-dire si des sujets joueurs, par comparaison à des sujets contrôle non-joueurs, obtenaient de meilleurs résultats au rappel d’un matériau non échiquéen. En d’autres termes, y-aurait-t-il, grâce à la pratique, création d’une habileté au traitement d’items en grand nombre par recours à une stratégie d’assemblage en sous-ensembles ayant des étiquetages possibles ?

Nous avons ensuite émis l’hypothèse qu’il pouvait exister des liens entre le chunking d’une part, la construction de réseaux sémantiques et la stratégie de catégorisation d’autre part, lorsqu’il s’agit de la mémorisation d’un matériau purement verbal. Ceci a fait l’objet d’un deuxième protocole expérimental Les sujets joueurs n’auraient-ils pas plus aisément recours à ce type de stratégie du regroupement par catégorie sémantique lorsqu’ils sont confrontés à une liste de mots qu’ils doivent apprendre ?

Pourquoi émettre cette hypothèse ?

Nous avons posé celle-ci dans le prolongement du parallélisme établi par Gobet (1996) entre son modèle d’organisation de la base de connaissances et les modèles de structuration du registre lexical et des arbres sémantiques (Collins et Quillian, 1969) d’une part, et le modèle de diffusion de l’activation dans la mémoire sémantique (Collins et Loftus, 1975). Les sujets qui traitent des stimuli – en l’occurrence des configurations de pièces d’échecs- ne procèdent-ils pas de façon systématique à un traitement de ceux-ci, les organisant en une structure ayant un sens référant à des patterns déjà vus, ce qui faciliterait leur entrée en base de données ?

En troisième lieu, la part considérable de l’exploration en profondeur et de calcul des variantes des enchaînements de coups telle que nous l’avons présentée dans la première partie nous obligeait à vérifier l’hypothèse implicite du développement des capacités dans ce domaine, hors le seul jeu d’échecs. La troisième expérience a proposé une tâche de résolution de problèmes prototypique pour l’étude de ces fonctions exécutives, l’épreuve des tours de Hanoï.

La dernière expérience a eu pour objet d’analyser la nature de la composante stratégie de traitement visuo-spatial. Est-ce que la pratique du balayage visuel de l’échiquier et du traitement du mouvement potentiel par imagerie mentale développe une habileté dont les bénéfices seraient étendus à toute tâche de traitement des relations spatiales et des stimuli visuels ? Nous avons mentionné que certaines équipes de chercheurs avaient établi l’effet du jeu vidéo sur les capacités de traitement des stimuli visuels, mais la littérature ne nous renseigne pas sur l’occurrence de cet effet dans le cas de la pratique échiquéenne.