4 - Discussion

4 –1 L’efficacité de la pratique

Après seulement deux années de pratique régulière du jeu d’échecs, l’enfant est plus performant dans une tâche de rappel d’un matériau non-échiquéen, grâce à une stratégie de chunking plus efficiente.

  • Les élèves de CM2 rappellent 20% d’objets de plus que leurs camarades non-joueurs, ce qui est important car une pratique de deux années en milieu scolaire, fut-elle régulière, ne représente pas un nombre d’heures considérable (environ 120 heures). Notons également qu’aucune des méthodes d’apprentissage utilisées, telles qu’elles nous ont été décrites, n’inclut des objectifs de transfert, ce qui nous autorise à émettre l’hypothèse principale de notre recherche selon laquelle, si un entraînement à une stratégie de mémorisation et à son transfert était inclus dans cet enseignement des échecs, les performances pourraient s’en trouver encore améliorées.
    Grâce à leur pratique, les sujets âgés de 11 ans (130 mois) réalisent un score égal à celui des collégiens non-joueurs, qui ont 2 ans et demi de plus (160 mois).
    Nous avons mentionné que dans son étude princeps sur un paradigme expert-novice aux échecs, Chi (1976) a montré que le jeune expert pouvait tout à fait se situer à un niveau de performance supérieur à celui d’un adulte novice. Mais s’agissant, dans notre expérience, d’une tâche de rappel non-échiquéenne, le fait que les CM2 joueurs obtiennent un taux de rappel égal à celui de leurs aînés est remarquable au regard des théories développementales. Si l’on ne retient que les seules configurations de type échiquéen, leur taux de rappel au score 1 est même supérieur à celui des collégiens non-joueurs, 10.73 objets contre 9.76, et ce, dès le premier essai. Un autre point de la théorie du développement cognitif de l’enfant infirmé par nos résultats concerne le postulat selon lequel la vitesse des enfants ayant acquis une expérience ne dépasse pas celle de leurs aînés d’un an qui n’ont pas la pratique de la tâche (Case, 1987a). L’analyse du chunking temporel réalisée sur un échantillon démontre que les CM2 joueurs déposent un plus grand nombre d’objets pour les configurations échiquéennes dans leur premier chunk temporel en fonction de la durée de celui-ci : il y a bien vitesse d’exécution supérieure.

  • Avec l’augmentation du nombre d’années de pratique, la différence de performance s’accroît encore entre joueur et non-joueur : score de chunking +34%, poids moyen du chunk +92%. On constate également un avantage dans l’apprentissage : d’un essai à l’autre, l’augmentation du nombre d’objets rappelés par les collégiens joueurs est supérieure à celle des non-joueurs. L’atteste le fait que 40% des collégiens ont rappelé de façon parfaite au 3ème essai au moins une Position, contre seulement 20% de non-joueurs. Si l’on gomme l’incidence de la Position 4, l’effet est encore accentué : 28 rappels parfaits contre 7 en faveur des collégiens joueurs.

  • Les chiffres du score de chunking aux premiers essais (+31% CM2 joueurs/non-joueurs, +34% Coll joueurs/non-joueurs) permettent d’établir clairement l’origine de la différence de performance : les joueurs constituent plus facilement des chunks dont le poids moyen est supérieur. Ils utilisent, par conséquent, une stratégie de mémorisation plus efficace, quel que soit le domaine d’application. L’avantage du chunking du joueur d’échecs n’est donc pas Domain-Spécific. Ceci valide notre hypothèse.

  • L’analyse de l’effet Position éclaire sur les modalités du chunking, si l’on examine les scores pour la Position 2 et ceux de la Position 4. Pour P2, le score moyen de chunking est de 7.4, alors qu’il est, pour les autres Positions, bien plus élevé: P1-8.5, P3-8,9, P4-9.5, P5-9.2; ce qui est confirmé par l’analyse de contrastes opérée au score 1, qui localise de façon préférentielle la cause d’un tel effet Position dans les contrastes P2-P1, (F, 41.2), et P2-P3, (F, 26.5), et moins dans P3-P4, (F, 4.6), ou P4-P5, (F, 3.2).
    Quelles sont les différences existant entre la Position P2 et les autres ?
    Le nombre d’objets (20) est plutôt bas par rapport aux autres, P1(24), P3(22), P4 (19), P5(25). Le nombre de chunks, 4, est identique. En revanche, le nombre d’objets par chunk est moins élevé dans P2 que dans les autres positions : 1 chunk à 5 objets, 2 à 4, 2 à 3, 1 à 2, 2 objets isolés, contre 3 chunks à 6 objets, 1 à 4, 1 objet isolé pour P1, et 2 chunks à 5 objets, 1 à 4, 1 à 3 pour P3. La stratégie de chunking est moins facile à mettre en oeuvre pour des objets isolés, voire impossible, ce qui explique la chute relative du rappel. Néanmoins, la chute est bien plus forte pour les non-joueurs que pour les joueurs.