1 – Problématique théorique et objectifs

Dans la vision classique de la catégorisation sémantique, l’appartenance d’un mot ou d’un objet à une catégorie est liée à la présence des attributs (ou propriétés) nécessaires et suffisants de cette catégorie, attributs qui la définissent par opposition avec une autre (Collins & Quillian, 1969). La mémoire sémantique, d’après cette théorie classique, serait organisée en réseaux reliés entre eux selon une hiérarchie. Cette approche connexionniste met en évidence la dispersion des attributs en diverses unités ou couches qui sont activées lors de la reconnaissance d’un mot ou d’un objet. Selon le poids des multiples unités, les attributs rendraient plus ou moins saillants ceux-ci et en faciliteraient la reconnaissance par

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Figure 61 : Exemple d’un modèle de diffusion de l’activation. d’après Collins et Loftus, 1975.

appartenance à la catégorie (Hinton & Shallice, 1992). C’est par l’activation régulière de certains attributs que des prototypes sont constitués à l’intérieur d’une catégorie et la caractérisent, les processus d’appartenance opérant alors sur le critère de similarité avec le prototype de la catégorie (Rosch, 1975). Le prototype est donc l’exemplaire de la catégorie qui est le plus familier et le plus aisément reconnaissable. Les attributs sont organisés selon une hiérarchie des concepts, certains étant supra-ordonnés, d’autres infra-ordonnés par rapport à un niveau d’entrée dans la base sémantique, lequel correspond à la fréquence et à la familiarité. Chat, chien, lapin sont des niveaux de base ; animal est le niveau supra-ordonné ; caniche est le niveau inférieur par rapport au niveau de base chien.

Ce modèle a été approfondi et complété par une deuxième approche fondée non plus sur la similarité par certains attributs à un prototype, mais sur certains traits fonctionnels (Bloom, 1999). Il y aurait ainsi d’autres principes de catégorisation, comme par exemple la distinction entre attributs visuels et attributs fonctionnels, par exemple l’animal versus la voiture, la catégorisation se faisant plus couramment sur des attributs visuels pour l’animal et sur des attributs fonctionnels pour des artefacts du type voiture (Riddoch & Humphreys, 1987).

Nous ajouterons à ce bref aperçu de la théorie de la catégorisation qu’un dernier critère joue un rôle d’importance dans ce processus, celui de l’attribut inhabituel (‘distinctiveness effect’, Schmidt, 1996). Ce qui est inattendu ou inhabituel renforce sensiblement l’encodage et la mémorisation, et faciliterait la récupération lors du rappel (Hunt, 1995).

Cette approche de la catégorisation par les attributs est jugée plus pertinente aujourd’hui que la seule dimension étudiée traditionnellement par la théorie fondée sur le nom de l’objet ou du mot. La distinction par les propriétés fonctionnelles et structurales s’avère plus efficiente mais elle renvoie aussitôt à une dichotomie entre modalités visuelle et verbale.

Ce dernier point nous paraît essentiel au regard de notre interrogation.

Si, dans le processus de catégorisation tel que le retient la théorie des attributs cognitifs, les mécanismes d’identification et d’appartenance sont multiples, dissociés et distribués selon diverses modalités, alors l’hypothèse d’un effet d’habiletés développées en matière d’imagerie n’est pas à exclure à priori. Ajoutons que cette approche selon les critères fonctionnels et structuraux intègre implicitement un élément de contextualisation de l’encodage et de la récupération, absent des protocoles les plus courants de laboratoires, qui expurgent, s’agissant de catégorisation, les attributs action ou emploi des mots faisant l’objet de la tâche de catégorisation. Nous avons mis en évidence l’importance de ces éléments relatifs au but dans les tâches cognitives de haut niveau dans notre première partie et vérifié que la pratique échiquéenne associait les pièces à leur but premier qu’est le déplacement possible. En cela l’habileté d’imagerie serait d’autant plus développée par la pratique, nous l’avons relevé, qu’elle est indissociable d’un élément action ou but.

Voilà qui justifiait en soi que fut recherché à travers cette deuxième expérience la part éventuelle de l’imagerie dans une tâche de mémorisation d’items verbaux, imagerie facilitant ou non leur catégorisation.