1 – Problématique théorique et objectifs

  1. Par les diverses composantes cognitives de la tâche, la résolution d’un problème du type Tours de Hanoï s’apparente à la résolution d’un problème de mats simple (Anzaï & Simon, 1973). Ceci a été par la suite attesté par diverses études en imagerie. La mise en évidence anatomo-fonctionnelle de la complexité de la tâche de recherche de mats et, d’une façon plus générale, de l’activité échiquéenne a été apportée par Nichelli et al. (1994). L’étude en imagerie par tomographie par émission de positons démontre que la résolution d’un mat mobilise un réseau de plusieurs aires corticales, et aide à dégager le rôle de chacune des aires :
    • cortex orbito-frontal gauche et droit impliqué dans la tâche de conception d’une planification et d’exécution d’opérations planifiées lors de la recherche de mats ;

    • aires à la jonction des lobes occipitaux et pariétaux, et du lobe frontal (aires 7, 18, 19) pour la génération d’images défilant en séquences pour le calcul des prises possibles de pièces et l’engagement et le désengagement de l’attention d’une image à l’autre ;

    • activation de l’hippocampe gauche et du lobe temporal gauche pour la récupération de séquences de coups possibles liés aux déplacements potentiels d’une pièce ;

    • lobule pariéto-supérieur et cortex médio-parietal supérieur (aire7) pour la discrimination spatiale et identitaire des pièces et le déplacement de l’attention spatiale.

    • Morris et al. (1997) ont, pour leur part, mis en évidence la mobilisation de nombre de ces aires dans une tâche de Tours de Hanoï. Ils ont surtout démontré, dans la suite de Goel et Grafman (1995), que cette tâche n’était pas exclusivement une tâche de planification et de recherche en profondeur, et ils ont relevé l’importance de la fonction inhibition des coups intuitifs d’appariement au but. Chez les patients étudiés, une lésion frontale gauche conduisait à l’impossibilité d’inhiber un coup incompatible avec le but alors qu’il satisfaisait un sous-but ; ce déficit n’intervenait pas dans le cas d’une lésion frontale droite qui, elle, atteint la mémoire spatiale. Cette composante nous intéresse car elle se retrouve dans la composante d’auto-contrôle du joueur. C’est pourquoi cette tâche des Tours de Hanoï nous paraissait adaptée à notre objectif, plus par exemple que la tâche des Tours de Londres qui ne comporte pas ce conflit but/sous-but.

  2. Nous avons souhaité vérifier dans notre expérience cette hypothèse de la prévalence du conflit but/sous-but en retenant un protocole expérimental incluant deux problèmes à résoudre l’un après l’autre. Le premier à trois disques ou anneaux, dont la solution optimum peut être trouvée en sept coups ou mouvements de disques, mais pour lequel existe le conflit but/sous-but dès le premier coup, compte tenu de l’état initial et de l’état-but. Les trois disques sont rangés sur la tige de gauche et ils doivent être agencés sur la tige de droite, un plus large ne pouvant être placé sur un plus petit. Pour le premier coup, le piège intuitif consiste à laisser libre la tige de droite, laquelle correspond à l’état-but, et à déplacer le premier disque sur la tige du milieu ; en cela n’est pas envisagé le mouvement contre-intuitif consistant à déplacer le premier disque sur la tige de droite afin de libérer le disque moyen pour le placer sur la tige du milieu, dans le but ensuite de ramener le disque plus petit de la tige de droite vers la tige du milieu, ce qui libère la tige de droite pour le plus large. Ce qui est contre-intuitif, c’est d’une part d’occuper la tige de droite et de ne pas la laisser libre, d’autre part de revenir en arrière pour libérer la tige momentanément occupée.
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    Ce piège intuitif d’appariement perceptif au but (Houdé, 1996) coûte 4 mouvements en termes de performance. Et si, pour le premier coup, le sujet déplace le disque sur la tige du milieu, en admettant qu’il ne commette ensuite aucune erreur, la solution optimum peut être trouvée en onze coups. Cela conduit pour le premier problème à trois disques à un score optimum voisin de celui du second problème proposé à cinq disques. Toutefois, au plan cognitif, le premier problème est plus coûteux et plus difficile que le second, compte tenu du fait que le conflit but sous-but surgit dès le premier coup.
    Dans le problème à cinq disques, faut-il qualifier de conflit but/sous-but le dilemme existant au 8ème coup - petit disque à déplacer de la tige de droite à la tige du centre et non pas à celle de gauche ? On remarquera dans la figure ci-dessous que le nombre de coups pour terminer la tâche est faible (3) et évident - deux seuls disques restent concernés, l’état-but étant de disposer les cinq disques sur la tige du centre.
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    Le piège perceptif et cognitif dans cette position est mineur et le mouvement du plus petit disque sur la tige de gauche pour revenir ensuite sur la tige du milieu ne peut pas vraiment être qualifié de contre-intuitif. Nous avons au demeurant pu vérifier statistiquement que presque aucun sujet n’avait été piégé.
  3. Cet objectif d’analyse de l’inhibition du piège perceptif nous a conduit à étudier plus particulièrement le premier coup de l’exercice à trois disques, et ce à chacun des trois essais, et à examiner la persistance dans le piège et dans la non résolution du conflit but/sous-but. Ceci nous a permis de vérifier s’il y avait une corrélation significative entre l’attitude à l’égard de ce conflit et la performance globale. En d’autre termes, nous voulions savoir s’il y avait une corrélation entre la résolution du problème et la capacité à lever le conflit but/sous-but en inhibant le coup intuitif. Puis, nous avons voulu savoir s’il y avait corrélation entre la résolution de ce conflit et la performance au deuxième problème, dans le but de vérifier si la fonction planification requise à titre principal dans le second problème à cinq disques était ou non liée à la levée du conflit par inhibition du coup intuitif.