4- Discussion

Notre paradigme expérimental a été construit en ajoutant délibérément au design du modèle expérimental de Kosslyn (1987) une variable distance horizontale entre les deux stimuli croix et rond, stimuli retenus en substitution du point et de la barre dans les expériences visées. L’apparition successive de la croix noire puis du rond rouge crée un mouvement qui s’ajoute à la tâche de jugement catégoriel consistant à décider si le rond rouge est situé au-dessus ou en- dessous de la croix.

La tâche de jugement catégoriel comportait donc une composante supplémentaire correspondant à des conditions plus écologiques de tâches de jugement catégoriel, la plupart des jugements à porter pour définir une relation spatiale portent en effet sur des objets qui sont rarement dans des plans verticaux purs mais plus souvent dans un espace plus large rendant cette position relative. En cela nous tenions compte de la critique adressée par Sergent (1991a) au modèle de Kosslyn. Sergent, en effet, a contesté le principe d’asymétrie hémisphérique dans l’encodage des relations spatiales catégorielles en se fondant sur la constatation que les relations ne sont jamais seulement catégorielles ou coordonnées mais toujours relatives. Le postulat de deux sous-systèmes séparés d’encodage des relations spatiales coordonnées et catégorielles et d’une asymétrie hémisphérique du traitement serait contestable en ce qu’il y aurait impossibilité de distinguer relations catégorielles et coordonnées, les objets étant par définition dans une position relative. Une représentation coordonnée contiendrait des informations à la fois absolues et relatives.

Nous avons ajouté à cette critique une dimension supplémentaire tenant au potentiel de mouvement bien souvent contenu dans la représentation spatiale. En imagerie mentale, nous savons que objets et mots ont un pouvoir d’imaginabilité différent : la représentation d’une voiture sera plus rapide que celle d’une clé à molette, à fortiori que celle d’un grimoire. Le mouvement, à l’intérieur d’un plan vertical absolu, inclus dans la représentation du point apparu après la ligne droite fixe de référence (procédure des expériences de Kosslyn, 1987, 1994) est moins fort que celui contenu dans un rond apparu à une plus grande distance et sous une orientation non prédéfinie, c’est-à-dire pouvant couvrir tous les degrés d’angle d’un cercle. Le point est en effet cantonné dans un espace vertical défini et fixe, qui sur-catégorise l’encodage.

Nous avions émis l’hypothèse que les sujets joueurs, grâce à leur pratique du jeu d’échecs, étaient entraînés à traiter en imagerie mentale le potentiel de mouvement des pièces sur l’échiquier. Ils auraient donc plus de facilité à traiter les stimuli présentés dans les conditions de grande distance entre croix et rond (condition 2 et condition 4).

L’interaction entre ce meilleur traitement de la part mouvement et le jugement catégoriel serait-elle réelle et significative?

Telle était la question que nous avions posée en termes de psychologie cognitive et à laquelle cette expérience visait à répondre. En d’autres termes, si nous mettions en évidence un avantage comparatif en faveur des joueurs dans ces deux conditions de grande distance, nous pourrions attester à la fois de la part de cette composante mouvement dans le jugement catégoriel mais également du transfert de l’habileté à traiter le mouvement apparent chez les joueurs d’échecs.

S’il y avait interaction des facteurs mouvement et jugement catégoriel nous devions trouver un effet de la pratique pour les deux conditions 2 et 4 avec un effet plus sensible dans la condition 4 la plus difficile de la tâche de faible hauteur entre les stimuli. Inversement, moins la distance était grande entre les deux stimuli moins l’effet de la composante mouvement devait se faire sentir et peser sur le résultat du jugement catégoriel, avec dans ces conditions une hypothèse de non différenciation des performances des sujets selon qu’il y a pratique ou non.

  1. Notre protocole en quatre conditions appariées de hauteur et de distance a permis de dégager un réel effet de la complexité de la tâche. La chute régulière du taux de réponses correctes rend compte de l’accroissement de la difficulté depuis la condition 1 jusqu’à la condition 4. Le facteur distance qui traduit la dimension relative, mais non pas métrique, entre deux objets dans l’espace a un impact réel dans la tâche.
    Mais cette chute du taux d’exactitude est moins forte chez les sujets joueurs que chez les non-joueurs, ce qui signifie que la difficulté est mieux traitée par ceux-ci dans les deux paramètres hauteur et distance.
    Quand croix noire et rond rouge sont proches l’un de l’autre tant par la hauteur que par la distance les séparant, s’il y a davantage de réponses correctes chez les joueurs, la différence n’est pas significative. En revanche lorsque les deux stimuli sont à une hauteur rapprochée mais que la distance horizontale est grande (cond 2), ou bien à hauteur et distance élevés (cond 4), la composante mouvement entre l’un et l’autre stimulus prend une part prépondérante dans le jugement catégoriel spatial, et l’effet de la pratique est conséquent et robuste.

  2. L’interaction des facteurs genre et pratique apporte un élément intéressant s’agissant de l’utilité comparée de la pratique entre filles garçons et garçons. En effet, chez les joueurs, les filles ont une exactitude inférieure et un temps de réponse supérieur à ceux des garçons, alors que chez les non-joueurs le constat est inversé. Cela peut s’interpréter comme signifiant que les garçons profitent plus que les filles de la pratique.

  3. Les résultats des sujets de la classe de CM1 donnent un avantage relatif aux non-joueurs. Nous avons vu que ceci était le fait de quelques sujets filles. On peut simplement constater qu’une période aussi courte d’apprentissage ne permet pas aux sujets de tirer un bénéfice en matière d’encodage des relations spatiales.

  4. L’interaction Bloc*Pratique laisse apparaître pour les sujets CM2 et Coll un avantage dans le traitement des blocs de droite, et ce notamment pour les conditions de distance élevée. La composante mouvement recrutée de par le facteur distance semble bien présente dans la tâche.

Notre hypothèse sur l’habileté cognitive d’extraction et de traitement du mouvement développée par la pratique est validée.