4ème Partie
Deuxième ensemble expérimental : apprentissage des échecs par un didactitiel intégrant l’objectif du transfert

L’efficacité du recours à des logiciels éducatifs n’est plus à démontrer. De nombreuses expériences, dans des domaines aussi variés que l’apprentissage de la lecture ou de celui des mathématiques, ont apporté la démonstration d’une amélioration significative des résultats par rapport à des méthodes classiques auprès de groupes-témoins. Parmi celles-ci, citons l’étude de Foucambert (2000) relative à l’usage du logiciel d’entraînement à la lecture ELSA par des élèves de fin de sixième. Les sujets se voient proposer des textes de 20 lignes environ, qu’ils doivent lire avant de répondre à une question de compréhension explicite du texte. L’utilisation du logiciel conduit à une amélioration des performances de vitesse de la lecture d’environ 40% pour une durée d’entraînement de 55 minutes, et de 75% pour une durée de 75 minutes. Ce résultat relatif à la lecture et à la compréhension explicite s’accompagne en revanche d’une absence d’effet dans la compréhension implicite du texte ; ce point nous paraissant conforme à la distinction faite en théorie de la compréhension de texte entre niveau de surface et modèle d’intégration (Kintsch, 1988).

Les preuves expérimentales de l’efficacité du recours à des programmes hypermédia comme supports d’enseignement sont nombreuses et diverses. Crane et Mylonas (1988) ont établi que l’environnement hypermédia développait non seulement une meilleure rétention des informations apprises mais également la créativité des étudiants dans leur secteur d’études, en l’occurrence l’acquisition de connaissances en civilisation grecque à l’Université de Harvard. Lohr, Ross, et Morrison (1995) ont recouru à un modèle hypertexte pour l’enseignement de l’écriture, et conclu que le bénéfice était proportionnel à l’âge des étudiants.

Yildirim et al. (2001), ont mené une expérience pour un enseignement en biologie portant sur le système sanguin, avec deux groupes, l’un apprenant avec utilisation d’un environnement hypermédia, l’autre selon le mode classique du cours. L’intérêt de leur protocole réside dans la différenciation des trois niveaux de connaissances en tant que variables expérimentales : déclaratives, conditionnelles et procédurales. S’ils concluent à l’absence de différences significatives pour l’acquisition immédiate selon la nature des connaissances qu’elles soient déclaratives, conditionnelles ou procédurales, en revanche ils mesurent un effet significatif s’agissant de la rétention de l’information en post-test.

message URL FIG074.gif
Figure 74 : La dynamique de l’apprentissage.
message URL FIG075.gif
Figure 75 : Caractéristiques d’un système interactif.

La question des méthodes et supports rendant possible une individualisation de l’apprentissage est au centre de la réflexion pédagogique de longue date. Le développement des systèmes informatiques définit aujourd’hui des environnements interactifs d’apprentissage par ordinateur qui bouleversent les conditions éducatives (EIAO).

Les environnements interactifs d’apprentissage par ordinateur sont en effet « ‘des systèmes informatiques dont la finalité est de produire ou de favoriser l’acquisition de compétences cognitives de haut niveau de manière individualisée’ » (Mendelsohn, 1998).

Nous avons évoqué, dans la 2ème partie, l’intérêt de prendre en compte l’approche connexionniste de la connaissance qui privilégie sa dimension plurielle, asynchrone, fortement distribuée et contextualisée. Cette nouvelle approche polarise l’acte d’apprentissage chez l’apprenant sur le processus d’interaction entre le contexte de la situation d’apprentissage et la structure de la connaissance à acquérir. Nous ne sommes plus dans un déroulement linéaire de l’acquisition, mais dans une dynamique de construction-intégration. Dans cette approche le sujet est un acteur important de la construction de la connaissance qu’il doit acquérir.

Ce rappel éclaire l’apport des systèmes interactifs.

L’avantage d’un système interactif est de pouvoir placer le sujet dans une situation où il doit faire quelque chose, construisant à travers cette action un élément partiel du savoir à s’approprier (situated learning, Brown et al., 1989). L’auto-contrôle grâce au feed-back immédiat permet une régulation par le sujet, autant que par le système, de la vitesse du processus d’acquisition et de la qualité de celui-ci, l’erreur lorsqu’elle surgit pouvant être traitée sur le champ. Dans ce cas, la situation d’apprentissage se caractérise donc par un degré de liberté laissé au sujet qui ne subit pas la transmission d’un savoir mais manipule les composantes de celui-ci. Il ne s’agit plus d’un processus linéaire et binaire mais d’un système en boucle autorisant les allers-retours à l’intérieur de ‘l’espace-savoir’ concerné.

Le sujet, au cours du processus, apprend sur plusieurs niveaux en même temps : celui du contenu de savoir, mais aussi celui de sa propre capacité qu’il peut évaluer en temps réel, et non pas lors du rendu d’une copie huit jours après une interrogation. Cette dimension métacognitive plus ou moins implicite peut être explicitée par l’intervention du système qui adresse message et commentaires sur le sens du résultat plus que sur la mesure chiffrée de celui-ci.

Le système interactif remplit le rôle du maître d’apprentissage qui, sur le tas et en temps réel, intervient, commente et donne l’exemple. Ce que Clancey et Young (1992) appellent «cognitive apprenticeship» .

L’élaboration et l’appropriation se font simultanément à plusieurs niveaux de savoir : celui des connaissances déclaratives ou notions de base descriptives, celui des procédures d’emploi plus ou moins récurrentes et en conséquence plus ou moins automatisées par la répétition, enfin celui conditionnel des schémas de relations entre les connaissances, première étape vers la complexité.

Dans cette conception d’un système interactif, le statut du contenu de savoir est relativisé par rapport à la tâche à accomplir. Le but à atteindre dans l’action devient principal, il a pour fonction positive de motiver le sujet, motivation qui produit ses effets secondaires au plan du contenu de savoir à acquérir. En d’autres termes, le pilotage par le sujet de son but, grâce au choix qu’il aura opéré lui-même du niveau de difficulté de la tâche, rend plus accessible et facilement acceptable le savoir qui n’est plus celui du maître distant.

Le degré de motivation est encore augmenté par la qualité de l’environnement iconographique dans lequel peut évoluer le sujet. L’image sur l’écran n’a pas de statut d’autorité à la différence du verbe du maître, et ressemble plus à l’univers dans lequel vit l’adolescent.

Enfin, le multimédia et le processus d’auto-construction du savoir par le sujet sont d’autant plus efficaces que l’environnement sera conçu dans une approche ludique. Cette dimension ludique est un facteur de motivation supplémentaire selon nous.

Le cahier des charges ainsi résumé des systèmes interactifs rend leur conception difficile au regard des objectifs en apparence contradictoire à combiner. L’ingénierie des interactions (Paquette, 1998) qui est à la base de toute conception d’un support multimédia est une tâche complexe en ce qu’elle intègre de multiples composantes.

Doit en effet être arbitrée l’opposition entre découverte et manipulation des éléments analytiques d’une part, et compréhension plus globale des méthodes de combinaison de ces éléments dans une stratégie d’emploi pour atteindre un but d’autre part. La bonne représentation de la connaissance doit s’accompagner d’une capacité à en transférer l’emploi à d’autres situations. Les logiciels et leur environnement d’usage doivent construire des séquences de travail du sujet faisant travailler celui-ci concurremment sur ces deux dimensions.

Le scénario didactique doit être fondé à la fois sur la structuration des contenus et sur la double dimension de l’interactivité, l’interactivité technique relative à la navigation et au dialogue sujet-machine, et l’interactivité pédagogique permettant au sujet apprenant de produire en partie par lui-même la connaissance à acquérir.

La réduction de l’écart entre univers cognitif de l’expert-auteur et état de connaissances initial du sujet apprenant est sans doute l’une des difficultés les plus importantes. Celle-ci ne peut être obtenue que par un recul cognitif suffisant par l’expert qui peut ainsi inscrire son travail dans le cadre des fonctions cognitives concernées.

Ce sont ces éléments qui ont dicté la démarche suivie dans notre travail de conception de la méthode d’apprentissage du jeu d’échecs. Nous avons dû créer une méthode car les méthodes d’apprentissage du jeu d’échecs à la disposition des instituteurs ont la plupart du temps été créées par des joueurs d’échecs. Aucune n’a été préparée dans l’optique de développer, à travers l’acquisition de connaissances échiquéennes, des concepts ou méthodes dépassant le strict cadre échiquéen. Elles n’ont par conséquent pas été conçues à partir d’une réflexion préalable sur les questions posées par l’apprentissage de savoirs, leur transférabilité et les méthodes de transmission.