1 Les protocoles

Quatre protocoles ont été définis, visant chacun à titre principal une fonction cognitive.

Ils sont ci-dessous sommairement définis, le contexte cognitif et la problématique théorique étant présentés de façon plus approfondie dans le chapitre particulier de chacune des expériences.

Le premier protocole était dédié à la fonction Langage.

La tâche consistait à reconstituer 20 mots de deux syllabes, des noms d’animaux très courants, en recherchant sur l’écran les syllabes qui avaient été découpées et dispersées aléatoirement. Les sujets disposaient de cinq minutes pour réaliser la tâche. L’épreuve recrutait donc à titre principal la capacité d’accès au registre lexical. La lecture d’une syllabe activait un mot et conduisait le sujet à rechercher la seconde syllabe pour constituer le mot, l’amorçage pouvant opérer soit à partir de la première syllabe, cas le plus fréquent, soit à la lecture de la seconde. Pour réaliser la recherche de façon optimum, les sujets devaient plus ou moins explicitement mobiliser une méthode de balayage visuel de l’écran dans les deux étapes de lecture des premières syllabes et dans la recherche des secondes, avec éventuellement une double méthode d’activation menée en parallèle soit par la première soit par la seconde syllabe. A titre secondaire était donc recrutée une capacité d’attention sélective, permettant d’écarter les interférences produites par la lecture de syllabes n’entrant pas dans la recherche de complètement sémantique. On peut considérer qu’une composante mémoire de travail visuelle et verbale intervenait également de façon plus ou moins importante selon la méthode de balayage visuel choisie par le sujet dans le cas où le balayage était opéré ligne par ligne, avec maintien en mémoire tampon des syllabes, la lecture étant poursuivie jusqu’à ce qu’une syllabe active l’une de celles précédemment lue en vue de la formation d’un mot.

Notre hypothèse ne postulait pas de différence entre les sujets des trois conditions dans la capacité à accéder au registre lexical simple de la catégorie noms d’animaux les plus courants. Elle posait en revanche un possible effet de l’attention, et de la stratégie de traitement du champ visuel des quarante syllabes, avec le recours possible, selon les sujets, à une stratégie de planification de l’examen des premières syllabes, voire des secondes, et à une sollicitation de la mémoire de travail.

Le deuxième protocole expérimental visait à apprécier le mode de compréhension d’un texte d’une dizaine de phrases.

Après avoir découvert les phrases, les sujets devaient classer dans l’ordre de leur apparition dans le texte les verbes qui leur étaient présentés dans le désordre. Les sujets disposaient de deux essais. A l’issue du premier essai, les verbes correctement placés étaient affichés (avec le nombre de points obtenus), ce qui permettait au sujet d’en tenir compte à la seconde présentation du texte et à son second essai.

L’épreuve recrutait donc la capacité à retenir le sens d’un texte à partir des mots clés de celui-ci, fonction remplie de façon privilégiée par les verbes dans le choix des textes que nous avions fait. La compréhension de la macro-structure rendait le travail de classement des verbes plus aisé, son absence diminuant les chances de retrouver l’ordre d’enchaînement logique des verbes entre eux. On pouvait donc dans cette épreuve évaluer la capacité des sujets à reconstituer implicitement l’histoire grâce à la compréhension qu’ils en avaient, c’est-à-dire à bâtir un modèle de situation, et à classer les verbes en conséquence.

Notre hypothèse postulait l’existence possible d’une différence entre les sujets des trois conditions. La méthode transfert comportait en effet des exercices de rappel destinés à développer la stratégie de chunking, c’est-à-dire de regroupement par sous-ensembles des pièces, seul moyen de dépasser la limite naturelle de la capacité de la MCT. Cette stratégie du chunking peut, d’un certain point de vue, s’apparenter à la stratégie de construction d’un modèle de situation. Le choix de ce type de tâche-contrôle était destiné à vérifier si ce rapprochement était fondé ou non. Il s’agissait, en d’autres termes, de savoir si l’habileté à construire des sous-ensembles facilite la construction-intégration dans un ensemble plus vaste des sous-ensembles ainsi formés lorsque ceux-ci portent sur des blocs de nature sémantique et non seulement visuo-spatiale. L’efficacité du chunking mesurée dans notre expérience numéro 1 chez les sujets ayant deux ans de pratique et plus justifiait que soit investiguée l’ampleur et la nature de celui-ci, et le caractère plus ou moins précoce de sa mise en place. Certes notre hypothèse était optimiste, dans la mesure où seule une pratique longue et régulière du jeu d’échecs conduit à développer dans le domaine échiquéen une capacité à identifier, au vu d’une position, les traits marquants et les plus signifiants de celle-ci, et à bâtir un réseau de relations entre ceux-ci. On se rappelle l’importance des écarts de performance constatés dans l’expérience sur le chunking entre sujets CM2 et sujets Collégiens (deux années et quatre années de pratique échiquéenne). En terme développemental, on pouvait donc s’interroger sur le moment où apparaît une telle consolidation de l’habileté, en recherchant si cela pouvait être le cas chez des sujets n’ayant que sept mois de pratique.

Le troisième protocole avait pour objectif d’apprécier les différences pouvant exister dans la capacité de concentration et d’attention, et en conséquence de la mémoire de travail visuo-spatiale.

Pour cela nous avons retenu une tâche purement attentionnelle, consistant à rappeler des cercles apparus à l’écran dans un certain ordre. Les sujets commençaient avec une série de deux cercles, puis de trois...et ainsi de suite jusqu’à ce que le rappel soit erroné deux fois de suite au même niveau. L’épreuve se terminait alors. Les cercles n’apparaissaient jamais à l’écran au même emplacement mais étaient dispersés selon un modèle aléatoire ; de même, les cercles qui s’allumaient dans un certain ordre et qu’il fallait ensuite rappeler étaient tirés au hasard par un algorithme lui-aussi aléatoire. La tâche recrutait une composante attentionnelle forte, mais également une dimension stratégie de mémorisation visuelle. En effet, lorsque le nombre de cercles dépassait la capacité de la MCT (les sept items définis par la littérature depuis Miller), le sujet devait recourir à la constitution de schèmes, dessins ou figures s’il voulait être capable de se souvenir de l’ordre d’apparition en plus de la localisation.

Notre hypothèse postulait un effet de la pratique d’une part, et de la méthode-transfert d’autre part, du fait des exercices de rappel insérés dans le logiciel d’apprentissage.

La quatrième épreuve contrôle portait sur la fonction d’imagerie mentale, avec une tâche couramment utilisée dans ce type d’expérience de rotation mentale de la main.

Il s’agissait pour les sujets de déclarer aussi vite que possible si une main apparaissant à l’écran était une main gauche ou une main droite. Les mains étaient présentées sous des orientations différentes, à plat ou en axial, et sous deux conditions : l’une normale, l’autre en miroir. La tâche recrutait une opération de rotation mentale replaçant la main en une position initiale plus simple à interpréter pour décider de la réponse.

Notre hypothèse retenait un effet de la pratique pour les deux catégories de sujets joueurs, sans avantage comparatif entre les joueurs en faveur du groupe méthode.