14- Discussion

  1. S’il existe une tendance vers un avantage des joueurs par rapport aux sujets du groupe contrôle (+18.8% G3/G1 et +11.1% G2/G1), l’analyse de variance ne dégage pas un effet significatif. Notre hypothèse expérimentale n’est par conséquent pas validée. Nous retrouvons la problématique évoquée dans l’expérience 2 sur la Compréhension : il ne semble pas que la courte durée de l’apprentissage des échecs ait été suffisante pour apporter un avantage significatif par rapport au groupe contrôle. La formation a commencé à produire ses effets mais le seuil de significativité n’est pas franchi.
    L’écart de performance entre sujets joueurs des groupes 2 méthode classique et 3 méthode transfert, est de + 7%, non négligeable par conséquent, et peut s’expliquer par l’intégration dans le logiciel des exercices de rappel. Ceux-ci ont pu développer la pratique du chunking pour une meilleure mémorisation, la même remarque pouvant être formulée à propos du temps de l’apprentissage.

  2. On doit rapprocher ces résultats de ceux obtenus dans la première expérience sur le chunking auprès d’élèves de CM2. Ceux-ci, rappelons-le, avaient tous deux années de pratique d’échecs. L’avantage significatif dans la performance de chunking était de + 15.4% par rapport au groupe contrôle de non-joueurs. Les chiffres sont par conséquent voisins. Mais les composantes visuo-spatiales de l’expérience 1 sur le chunking étaient plus renseignées que dans le protocole de cette expérience-contrôle de par le système de coordonnées orthogonales facilitateur et la différenciation des objets, ronds et carrés et des couleurs ; l’encodage était donc plus enrichi avec un possible effet de similarité facilitateur pour le transfert.

  3. L’effet de la variable ordre de passation donne une indication utile sur la manière dont les sujets ont été capables de mobiliser leur attention. Ceux qui ont commencé par l’épreuve attention ont une performance significativement inférieure par rapport à ceux qui n’ont abordé cette tâche qu’en second. Cet effet vaut pour l’ensemble des sujets des trois groupes puisque l’ANOVA de l’interaction Groupe*Ordre de passation n’est aucunement significative, F<1.
    Nous pouvons sans doute interpréter cet effet robuste de l’ordre de passation par le fait que les sujets qui avaient déjà réalisé leur première tâche étaient plus concentrés pour la seconde épreuve. L’observation vaut aussi bien pour les garçons que pour les filles.

  4. L’analyse des résultats selon le genre doit être faite à deux niveaux.
    Le score global par groupe n’est pas significatif malgré une tendance à l’avantage des filles. Si l’on examine l’interaction Genre et Pratique, alors nous observons une différence fortement significative (p=.007).
    Chez les sujets du groupe 1 contrôle, la performance des filles est nettement supérieure à celle des garçons (+50%). Les filles démontrent une capacité attentionnelle dépassant largement celle de leurs camarades masculins.
    Chez les sujets du groupe 2, joueurs méthode classique, la performance entre filles et garçons est équilibrée, 6.55 contre 6.59. La pratique a profité à l’ensemble des sujets, puisque le score moyen de groupe est plus élevé que celui du groupe 1 ( 6.57 contre 5.91) mais ceci est surtout dû exclusivement à l’amélioration du score des garçons. Le score des garçons entre groupe 1 et 2 augmente sensiblement, +36%. Le score des filles du groupe 2 est inférieur à celui du groupe 1 (-10%), mais il convient de rappeler que chez les sujets filles du groupe 1 il s’est trouvé quatre élèves dont la performance tangentait ou dépassait + 2 écarts-type.
    L’apprentissage échiquéen, de façon évidente, améliore la capacité de mobilisation de l’attention chez les garçons, alors que celle-ci semble globalement à cet âge, 10 ans et 9 mois, bien plus forte chez les filles.
    La tendance observée chez les sujets du groupe 2 est accentuée pour le groupe 3.
    Dans ce groupe 3 méthode transfert, les scores moyens des garçons deviennent supérieurs à ceux des filles, + 12.8%. Certes le score des filles reste inférieur à celui des filles du groupe 1 compte tenu de ‘l’anomalie’ mentionnée plus haut. Mais pour les garçons la différence entre G3 et G1 est de + 53%.
    La tendance qui se dégageait pour le groupe 2 est amplifiée : l’apprentissage échiquéen profite de façon significative aux garçons.
    La mobilisation de l’attention est suffisante pour que l’aptitude au chunking se développe, sans qu’il nous soit possible d’attribuer à l’attention ou au processus du chunking un poids relatif dans l’amélioration de la performance.

  5. Pour éclairer cette question du poids respectif des deux mécanismes attention et chunking intervenant dans la tâche, nous avons procédé à une analyse de composante principale en rapprochant les deux tâches des expériences 1 et 3, qui recrutent toutes deux une composante attentionnelle. Si la variable attentionnelle est principale dans chaque expérience et non pas la variable accès au registre lexical (expé 1) ou chunking (expé 3), nous devrions trouver un coefficient de corrélation fort entre les deux expériences. En revanche un faible coefficient indiquerait que la composante attentionnelle n’est pas principale par rapport à la seconde composante cognitive de chaque tâche : l’accès au registre lexical pour l’expérience 1 et le chunking pour l’expérience 3.

Les corrélations entre les résultats aux deux expériences 1 et 3 ont été calculées pour l’ensemble des sujets de chaque groupe en tenant compte de l’ordre de passation dont nous avons constaté qu’il était une variable très significative pour les filles et pour les garçons.

Tableau 56 : Coefficients de corrélation entre expériences 1 (chunking) et 3 (span visuo-spatial).
Tous sujets G 1 G 2 G 3
Sous-groupes 1: 0.49 - 0.03 0.17
Sous-groupes 2: 0.17 0.13 0.12
Sous-groupes 1 ordre Compréhension puis Attention
Sous-groupes 2 ordre Attention puis Compréhension

Sur l’ensemble des sujets, le profil des corrélations est homogène dans le protocole Attention-Compréhension, pour les deux groupes joueurs, ce qui indique que la composante cognitive principale dans les deux tâches expérimentales n’est pas attentionnelle, l’accès au registre lexical ou le chunking étant essentiels.

En revanche, le coefficient élevé (0.49) pour le groupe contrôle atteste que pour les sujets de ce groupe la réalisation de la tâche est plus coûteuse en ressources attentionnelles. Les sujets joueurs sont plus facilement concentrés sur la tâche et leurs ressources cognitives sont plus largement disponibles pour la composante spécifique à la tâche. Les chiffres des trois sous-groupes 2 corroborent cette interprétation. La corrélation est faible pour les trois conditions, ce qui s’explique par le fait qu’en début d’épreuve les sujets rencontrent les mêmes difficultés à se concentrer et à engager leur attention.

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Figure 106 : Ecran présentant la tâche de l’épreuve de rotation mentale, mode Miroir.