4 – Interprétation générale des résultats et perspectives de recherche

Nous allons essayer, à l’issue de ces deux ensembles d’expériences, de dégager une vue d’ensemble. Il s’agit de poser en synthèse les résultats les plus significatifs au regard de l’objet de notre recherche. Mais il s’agit également de relever les interrogations nées de notre ensemble expérimental, et de traduire ces dernières en perspectives de recherches futures. Comme dans toute démarche scientifique, les questions surgissent, à proportion des résultats obtenus. De nouvelles expériences devront être conçues pour prolonger le travail amorcé.

  1. Dans des tâches à forte composante visuo-spatiale, l’avantage apporté par la pratique échiquéenne est manifeste. Nous avions constaté cet effet dans notre première expérience sur le chunking. A l’issue d’un entraînement en vue du transfert de cette habileté, on constate une amélioration de cette habileté du chunking. Grâce à une meilleure mobilisation de l’attention cette habileté déborde le seul champ du visuo-spatial et intervient dans des tâches verbales, comme les scores nets à l’expérience 5 l’ont démontré.

  2. Cet avantage est fortement et directement lié à la fonction imagerie mentale. Le joueur entraîne son système de traitement des stimuli et, dans les tâches difficiles de traitement de relations spatiales, il s’avère plus performant en exactitude et en rapidité. Ceci est singulièrement vrai lorsque la tâche comporte une composante extraction et traitement du mouvement potentiel. De nouvelles expériences seront nécessaires pour investiguer les résultats que nous avons obtenus dans ce domaine à l’expérience 8 (notamment pour le traitement de la Position P4), et pour valider notre hypothèse interprétative, en regard des données de neuropsychologie cognitive.

  3. L’apport principal de la pratique concerne la capacité d’attention et de concentration. Le joueur commet moins d’erreurs, par exemple de fausses reconnaissances lors de la mémorisation d’une liste (expérience 2) ou lors de la reconstitution de mots (expérience 5). De même est-il capable plus facilement d’inhiber des coups intuitifs en résolution de problèmes, comme l’a démontré l’analyse du premier coup joué dans l’exercice des Tours de Hanoï (expérience 3). Cette concentration l’aide à être plus rapide dans certaines tâches, notamment à forte composante d’imagerie.

  4. La pratique échiquéenne développe les fonctions exécutives du sujet, qui sont prépondérantes en situation de résolution de problèmes. Il resterait à approfondir la validation expérimentale du transfert dans ce domaine, afin de vérifier l’hypothèse la plus courante et ancienne des liens entre pratique échiquéenne et capacités en raisonnement, calcul et logique, telles qu’elles sont recrutées en mathématiques. Nous n’avions pas, en effet, retenu d’épreuve-contrôle en résolution de problèmes, ce qui nous prive de la possibilité d’émettre une hypothèse sur l’efficacité d’une didactique de la transférabilité de ces habiletés. Les résultats de notre expérience 6 sur la compréhension de texte, nous l’avons dit, sont insuffisamment probants. Il nous faudrait à la fois reprendre ce type de protocole auprès de sujets ayant plus de sept mois de pratique échiquéenne, mais également mieux cerner les rapports entre compréhension de texte et résolution de problèmes, si nous voulons concevoir une didactique du transfert dans ce domaine, qui puisse faire l’objet d’une étude de pertinence. C’est en résolution de problèmes que les études expérimentales sur le transfert métacognitif sont les plus nombreuses et avec des résultats probants, ce qui justifie d’autant plus l’utilité de concevoir des protocoles traitant de la didactique du transfert en la matière.

  5. Dans plusieurs de nos plans expérimentaux et de traitement des données, nous avons recherché et mis en évidence un effet du genre. Au double plan développemental et didactique, cette question est d’importance. A cet égard, plusieurs de nos expériences ont dégagé des résultats dignes d’intérêt, tant s’agissant des ressources attentionnelles que pour la différenciation traditionnelle opérée par la littérature entre les fonctions langage et visuo-spatiale selon le genre. Nos résultats montrent que les garçons, dans l’ensemble, tirent un profit significatif de la pratique et effacent les différences observées expérimentalement selon le genre pour les fonctions attention et, à un degré moindre, langage. De la même manière, la pratique permet aux filles de réduire l’écart constaté chez les sujets contrôle dans des tâches de résolutions de problèmes ou à composante visuo-spatiale (expérience 3).

  6. Nous ne saurions omettre de mentionner en dernier lieu ce qui représente à la fois une difficulté et une opportunité dans l’évocation de nos perspectives de recherches, à savoir le caractère nécessairement interdisciplinaire de ces futures recherches.

L’interdisciplinarité de ce travail à venir est évidente. Sont en effet concernées la psychologie cognitive et la neuropsychologie cognitive, la didactique et la pédagogie, enfin l’ensemble informatique et multimédia. Nous aurons par conséquent à nous interroger sur les conditions et sur l’organisation des recherches dont nous avons esquissé ci-devant les perspectives.