12-1 La prise en charge des processus cognitifs et métacognitifs et le choix des stratégies mises en oeuvre par l’élève

Ces deux premiers points concernent l’intervention de l’enseignant dans la dynamique du transfert que nous avons présentée et illustrée dans la figure 134.

Dès la phase 1, durant laquelle l’élève découvre les données initiales à traiter à partir de ses connaissances préalables et des apports de l’enseignant, l’intervenant doit faire prendre conscience de l’importance d’enrichir cette phase en rapprochant le contexte spécifique de la tâche avec d’autres contextes connus ou bien auxquels cela lui fait penser. Il y a par conséquent un enrichissement de l’encodage prôné par l’intervenant et réalisé par l’élève. Cette « posture mentale » (Sternberg & Frensch, 1993) d’anticipation ou d’identification de contextes voisins ou imaginables est une première clé de l’attitude de l’élève au regard de l’intérêt du transfert. Elle aidera la phase 2 d’identification de la tâche transfert. Elle permet également de mettre à jour le but du transfert et le sens de ce processus de comparaison ou de rapprochement entre deux tâches.

Ce travail très précoce sur le but est une deuxième clé qui porte sur la motivation du sujet (Holyoak & Thagard, 1989a).

Il doit concerner non seulement l’intérêt de la tâche dans le monde scolaire mais également, si possible, le « hors l’école », ce dernier point étant considéré par ces auteurs comme un facteur déterminant pour la motivation de certains sujets. Le travail sur la variété des contextes et des buts de l’utilisation des notions initiales enrichit sensiblement la valeur de ces données aux yeux de l’élève, et participe de sa motivation.

Le deuxième temps fort de l’intervention concerne la sensibilisation à la fonction d’auto-évaluation de la méthode suivie par l’élève dans la tâche, des buts et sous-buts poursuivis, des notions utilisées. Il s’agit de l’inciter et de l’aider à suspendre un moment l’action pour faire le point et comparer le résultat obtenu et la méthode choisie.

La capacité à verbaliser cette évaluation est une clé de la création chez le sujet d’une aptitude métacognitive à apprécier sa propre performance et des conséquences sur le degré de confiance qu’il acquiert sur ses propres compétences. Dans de nombreux modèles, cette auto-évaluation est considérée comme le critère le plus distinctif de l’intervention métacognitive (Perrenoud, 1997b).

Au total, la combinaison des trois facteurs précités que sont l’enrichissement de l’encodage, le travail précoce sur le but et l’auto-évaluation génère le sens de la démarche poursuivie et mise en oeuvre par le sujet.

anticipation de contextes de transfert possibles
+
appropriation du But
+
évaluation de son efficacité
=
sens

L’articulation de ces trois facteurs impliqués dans la création du sens de la tâche demandée éclaire l’analyse que l’enseignant doit faire des stratégies cognitives qui peuvent être mises en oeuvre par l’élève.

  • S’agissant de la phase d’enrichissement de l’encodage, l’intervenant doit aider l’élève à organiser les différents contextes d’utilisation des connaissances qu’il mobilise pour une tâche. Ce travail de mise au clair des différents contextes, et de classement et d’organisation de ceux-ci, développe chez le sujet une capacité à structurer ses connaissances et à comparer des contextes. Se crée ainsi une aptitude à effectuer des passerelles entre contexte et nouveau contexte.

  • Le travail sur l’énoncé des données et du but à atteindre est celui qui est le plus exigeant au regard des stratégies à mobiliser.
    Deux stratégies au moins sont concernées : celle du découpage en buts et sous-buts, celle de la qualification des données selon leur importance.
    • La méthodologie du découpage en buts et sous-buts est un apprentissage pour partie contradictoire avec le souci, fréquent chez le sujet, d’entrer de façon immédiate dans l’action, de commencer à chercher la solution avant d’avoir clairement identifié les étapes par lesquelles passer. La plupart du temps le sujet a intuitivement une idée de ce qu’il y a à faire et souhaite plonger aussitôt dans la recherche de la solution ; suspendre cette entrée précoce et d’intuition ou d’impulsion dans la résolution requiert une capacité d’inhibition qui, en soi, nécessite un apprentissage. Le domaine des inhibitions, du point de vue de la psychologie cognitive, est le moins aisé à aborder car faire acquérir une capacité à inhiber une action intuitive chez l’enfant entre en conflit direct avec l’un des facteurs principaux de la motivation, à savoir le besoin d’action non différée.

    • Le travail sur les données comporte lui-même deux dimensions.
      Il s’agit d’une part de clairement identifier et formaliser les contraintes ou conditions à satisfaire lors de la résolution du problème ou de la réalisation de la tâche. Dans la plupart des cas, il n’y a pas liberté totale et la mémoire de travail doit maintenir en permanence présentes ces conditions qui ne peuvent être transgressées durant le déroulement de la tâche. Cette obligation sera d’autant plus forte que le sujet affrontera un domaine pour la première fois ou aura une faible pratique dans la tâche. L’oubli des règles est inversement proportionnel à la pratique comme nous l’avons analysé lorsque nous avons rapporté l’expérience sur l’apprentissage de la procédure du roque.
      Il s’agit d’autre part de trier entre les données afin de les hiérarchiser et de s’attacher à celles qui sont essentielles pour la tâche. Ce processus de traitement des éléments selon leur importance s’apparente au modèle de compréhension des relations structurales ou de la macro-structure par opposition aux traits de surface c’est-à-dire aux détails. L’intervention à ce stade gagnera à comparer le travail de sélection des informations essentielles par rapport au but à atteindre avec celui, par exemple, de la sélection des mots clés à mémoriser dans un texte lu. Nous aurons par conséquent dans cette phase un travail typiquement de transfert métacognitif.

  • Une stratégie identique est suivie par le sujet lorsqu’au cours de la tâche il récupère en mémoire, parmi les situations analogues traitées auparavant, les données relatives aux méthodes et raisonnements appropriés pour conduire son travail. Il y a d’une part une procédure de sélection afin de ne retenir que ce qui pourra s’appliquer le plus efficacement au nouveau contexte traité. Il y a également une analyse et un ajustement permanent pour tenir compte des différences d’une situation à l’autre. L’enseignant intègre dans sa stratégie d’intervention ce constat sur l’importance des ajustements à la marge, et doit trouver dans les supports qu’il propose une suite continue éloignant progressivement d’une situation de départ. Au cours de ce cheminement il invite le sujet à lui-même s’attacher à qualifier les différences et à dégager ce qu’il y avait autour du contexte initial de la connaissance ou de la méthode. Autour, est le mot mis en exergue par certains auteurs : « le transfert m’apparaît comme un processus qui invite à regarder autour plutôt que dedans. » (Batisse, 1996).
    En conclusion, il convient de noter, comme nous venons de l’analyser, que processus et stratégies didactiques de l’élève sont étroitement liés et forment un tout pour l’enseignant.
    De la même manière, les pratiques pédagogiques et les interventions sur les savoirs de ce dernier sont elles-mêmes tout à fait interdépendantes.