12-22 Le rapport pragmatique aux savoirs de l’élève

Au premier plan des pratiques ‘transférogènes’ (Perrenoud, 1997b) il y a la question du sens attribué et reconnu par l’élève aux connaissances qui composent le programme à apprendre. « A quoi cela va me servir ? »  est l’interrogation récurrente de l’élève qui ne s’inscrit pas dans un modèle normatif d’obéissance au système. C’est pourquoi cette question constitue l’un des enjeux majeurs pour l’intervenant : « ‘Pour installer des apprentissages performants, l’enseignant se doit de mieux saisir la nature du rapport des élèves au savoir. »’ (Develay, 1996, p 39).

Nous ne parlons pas ici de l’étape abordée précédemment du but à atteindre dans une tâche à réaliser, mais plutôt, en amont de cela, de l’utilité reconnue par le sujet au contenu qui lui est soumis. Parler de « ‘rapport pragmatique au savoir’ »(Perrenoud, 1997b) signifie considérer les éléments du savoir en termes d’outils utiles dans la vie pratique du sujet, que ce dernier peut en tout cas identifier et reconnaître comme tels, ce qui engendrera une motivation à apprendre.

Dans la phase de transfert des contextes, l’élève peut ainsi recourir à des situations ou à des contextes proches de ce qu’il connaît ou de ce qui l’intéresse. Si nous reprenons l’exemple de la leçon de géographie sur fleuves et rivières, les élèves choisiront un domaine transfert qui leur sera spécifique et correspondra à quelque chose qui leur ‘parlera’ plus, qui sera plus en rapport avec leur monde.

Le savoir dont il est ici question se caractérise alors par son usage pragmatique dans la vie quotidienne, ce qui lui confère une valeur en termes affectifs (Frenay, 1996), au-delà de l’aspect relatif au désir d’apprendre qui renvoie à une dimension freudienne du savoir, objet de désir. Ainsi parle-t-on d’élèves qui aiment une matière et qui n’aiment pas une autre.

Giordan (1996) apporte une première recommandation au regard de la pratique de l’enseignant sur ce plan, en résumant cette préoccupation de la manière suivante : ‘«  Il vaudrait mieux voir moins de notions mais permettre aux élèves de se représenter à quoi elles correspondent. Il vaudrait mieux mémoriser moins de formules ou de données mais arriver à comprendre les questions qui les font naître, les situations quotidiennes qui les rendent pertinentes’. » Ceci correspond à notre remarque faite à propos de la sélection dans la matrice disciplinaire des exemples à retenir pour approfondir le transfert, pour lesquels l’enseignant retiendra les notions comportant le plus fort potentiel de transférabilité.

La dimension relative à la motivation mérite un développement plus approfondi pour deux types de raisons. Il y a, premièrement, le fait que de nombreux didacticiens posent l’affectivité en élément cardinal de ce rapport pragmatique aux savoirs (Frenay, 1996). Mais, du seul fait de cette dimension affective, est générée une contradiction méthodologique avec la nature même d’un savoir. Un savoir est une prise de distance avec une connaissance antérieure, un enrichissement autour et à l’extérieur d’une connaissance antérieure. Cette distanciation comporte en soi un éloignement de ce qui est personnel au sujet – la décontextualisation est pour partie dé-personnalisation -, grâce au passage à la dimension conceptuelle de la connaissance. Là réside la contradiction. Si pour qu’il y ait savoir acquis il faut qu’il y ait distanciation, et si, pour qu’il y ait motivation affective, il faut qu’il y ait rapport au personnel vécu du sujet, comment régler cette opposition ?

La réponse n’est pas aussi simple car elle se trouve dans la dialectique entre les deux attitudes : il y a en permanence association des deux composantes, liaison et dé-liaison (Develay, 1996). Le sujet progresse au plan des connaissances par distance, voire rupture, d’avec les connaissances apprises antérieurement, puis expression d’un nouveau désir d’apprendre, qui le rapproche de lui-même.

La résolution de cette contradiction peut être largement facilitée par l’environnement pédagogique choisi, grâce au recours à certaines stratégies et à certains outils pédagogiques. Les environnements fortement interactifs et reposant sur des univers ludiques sont de ce double point de vue propices à la poursuite de ce cheminement dialectique entre distanciation et affectivité. C’est sur ce point que nous allons conclure ce développement.