22- La prise en compte des compétences transversales et l’interdidactique

Deux catégories d’obstacles s’opposent ou freinent la mise en oeuvre d’une approche didactique intégrant l’objectif du transfert. Les uns tiennent à la disciplinarisation et à la fragmentation des savoirs, les autres au morcellement du temps scolaire.

22-1 La disciplinarisation et la fragmentation des savoirs

Pour Tardif (1999) le premier obstacle au transfert est lié aux barrières curriculaires. Au cours du temps, et ce depuis le milieu du XIXème siècle, les curricula ont vu se multiplier les disciplines, facteur d’autant plus inéluctable qu’il allait dans le sens de l’intérêt des enseignants, des fournisseurs de manuels, et des formateurs des professeurs qui, au plan universitaire, ont morcelé les champs disciplinaires. Comme le souligne Giordan (1996, p.59) : « ‘le cloisonnement en disciplines, historiquement récent, constitue aujourd’hui un handicap.’ »

Il s’agit d’un « ‘phénomène sociologique daté’ » (Giordan, 1996, p 60) qui ne se justifie plus pour deux raisons.

La première tient à ce quelle est contraire à la réalité du savoir d’aujourd’hui, lequel se nourrit de multiples sources et doit plonger dans la vie et l’environnement des apprenants, qui eux sont complexes et non éclatés. De ce point de vue, la disciplinarisation et le fractionnement des savoirs génèrent une véritable « myopie » à l’égard du monde réel (Rey, 1996). L’école ne doit-elle pas pour reprendre l’expression d’Edgar Morin, « ‘refuser de morceler le tissu complexe des réalités’. » N’est-il pas utile, dans un objectif de transfert, de partir du complexe pour découvrir la multi-contextualisation et ainsi travailler sur plusieurs plans d’application en même temps ? ‘«  Pour transférer, il faut travailler dans la complexité, ne pas simplifier.’ » rappelle Tozzi (1996). Les scientifiques savent que bien souvent ce qui se passe aux frontières entre disciplines ou champs conceptuels est ce qui peut le plus enrichir un point de vue et constituer la source des sauts et mutations qui caractérisent la pensée scientifique.

La seconde raison est liée au souci de l’opérationalité des savoirs c’est-à-dire de leur possible mise en oeuvre dans la vie pratique. De ce point de vue le fractionnement des contenus enlève tout statut d’apprentissage, toute probabilité de transférabilité aux savoirs et toute possibilité pour ceux-ci de dégager un sens, pourtant facteur primordial de la motivation.

Cette disciplinarisation des savoirs comporte une double conséquence, durable et négative. Elle conduit, en effet, à appauvrir et restreindre de plus en plus les liens entre les savoirs, ce qui rend difficile pour l’élève l’appréhension d’une cohérence globale entre tout ce qui lui est enseigné. Elle diminue également les chances que les éléments de méthodologie de travail et de conceptualisation communs à certaines disciplines fussent traités. Chaque enseignant, centré sur son programme en termes de contenus, considère que ces éléments de méthodologie de travail et de conceptualisation communs ne sont pas de son ressort mais de celui de ses collègues ; ainsi ces éléments ne sont-ils traités, in fine, par personne : ‘« les savoirs faire fondamentaux parce qu’ils sont censés être enseignés par tout le monde finissent pas n’être enseignés par personne’. » (Giordan, 1996, p.61).

Cet auteur prône une synergie entre les disciplines, un changement radical : « ‘il faut aller vers la reconstruction d’un savoir global. ’» (ibid, p.61). Si l’enseignant, attaché au contenu de sa discipline, oublie de référer, dans son enseignement, à ce qui peut être commun avec d’autres matières qu’il sait faire partie du programme de la classe, et s’il récuse l’idée de re-contextualiser les notions apprises dans son domaine vers d’autres matières, il n’y a plus apprentissage mais intervention centrée exclusivement sur un contenu. Il en résulte un appauvrissement considérable de l’acte pédagogique et d’un éloignement des objectifs de l’école.

On le comprend, le paradigme de la discipline s’oppose au paradigme de l’apprentissage, lequel postule, comme nous l’avons évoqué en début de nos conclusions, le triptyque contextualisation, dé-contextualisation, re-contextualisation dans des univers distincts.