22-3 L’interdidactique ?

Le modèle d’une didactique du transfert tel que nous l’avons esquissé au début de cette partie repose sur deux obligations : l’intervention au minimum sur un double corpus de connaissances et de situations-tâches, et le travail parallèle aux plans des contenus, des compétences et des habiletés cognitives.

Il s’agit pour l’enseignant, au moment de la préparation de son intervention, de choisir des situations d’apprentissage qui puissent recourir au contenu de deux disciplines. A travers ces choix, il y a élaboration d’une interdidactique (Tozzi, 1996), qui peut être définie comme le champ des transferts possibles entre deux disciplines. Cela revient pour l’intervenant à rechercher ce qui peut être commun à deux disciplines en termes de concepts, méthodes, processus cognitifs recrutés et peut faire l’objet, sous réserve de quelques adaptations en vue de l’intervention, d’un apprentissage à la transférabilité grâce aux situations-transferts proposées aux élèves. Cette démarche peut aider le sujet à re-créer le chaînage logique entre des contenus de savoirs morcelés, ainsi qu’à l’inciter à découvrir d’autres chaînages avec des référents qui lui soient plus personnels et non scolaires.

A ce point final de notre interrogation une observation doit être faite.

Si l’on regarde ce qu’a été l’évolution au fil du temps depuis que l’école de la République existe, on ne peut que constater la tendance inexorable à la multiplication des savoirs et des disciplines. Une telle logique est-elle viable ? Nous connaissons depuis quelques décennies une accélération inédite des savoirs nouveaux, et un tel processus ne peut qu’amplifier la fragmentation des savoirs. Le système scolaire a évolué, certes à une moindre échelle, dans le sens de cette disciplinarisation et de cet éclatement. Trop souvent, cela a signifié une tendance a ignorer les territoires communs, singulièrement en termes de méthodologie. L’idée d’interdidactique peut-elle mettre un coup d’arrêt à cette évolution ? Il s’agit là d’une question et d’un enjeu qui ne pourront être ignorés à l’avenir.

La logique d’apprentissage postulée par l’interdidactique n’est plus une logique de discipline. Il en découle une didactique qui n’est plus centrée sur un contenu mais sur des situations-actions propres à faire travailler sur les transferts entre savoirs. Les exemples développés dans notre groupe d’expériences aussi bien que dans notre didacticiel attestent de l’utilité du jeu d’échecs comme moteur de génération de situations-actions propres au développement des compétences transversales et des habiletés cognitives.

A l’origine de notre recherche, nous avons inscrit comme interrogation principale la question posée par Develay et Meirieu (1992, p.148) : « ‘Si, à l’instar des méthodes d’éducabilité cognitive, l’Ecole se donnait comme but de faire réussir les enfants à autre chose qu’aux épreuves proprement scolaires, on avancerait sans doute vers une meilleure perception de sa fonction sociale.’ »

On jugera sans doute trop prudentes les conclusions présentées dans cette dernière partie en écho à cette citation.

Mais pouvait-il en être autrement ?

Nous avions fait le choix d’un champ limité d’application de notre recherche sur la didactique du transfert, celui du jeu d’échecs. Et ce choix est trop circonscrit à un domaine au regard des stratégies pédagogiques et des curricula. Cela pour autant ne nous interdit pas de poser une question : peut-on imaginer que le jeu d’échecs soit un jour inscrit dans le curriculum scolaire en tant qu’outil d’éducabilité cognitive ?

Pour cela il conviendrait qu’au préalable soit rassemblé tout ce qui constitue l’épistémologie du jeu d’échecs. Et c’est en s’éclairant de celle-ci que pourrait être validée l’hypothèse de l’inclusion au curriculum d’une didactique du transfert ayant pour support l’apprentissage du jeu d’échecs.