INTRODUCTION

Dans cette étude nous allons décrire les modifications des relations grammaticales entre le verbe et ses arguments qu'entraînent certains suffixes de dérivation verbale en wolof. Dans cette perspective, nous nous donnons pour tâche d'offrir une meilleure description d'une partie du système de dérivation verbale du wolof. Notre dessein relève plus d'un apport descriptif de cette langue, encore peu explorée sur le plan syntaxique, que d'une nouvelle théorie sur la voix. C'est pourquoi, tout au long de ce travail, nous nous sommes basée sur les théories existantes des relations grammaticales et sur différentes descriptions de ces phénomènes dans d'autres langues, dans le but d'insérer notre analyse du système des voix du wolof dans un cadre typologique et de présenter ses voix au travers de théories récentes sur les relations grammaticales. Nous n'avons pas sélectionné une théorie particulière, mais nous nous inspirons de théories qui proposent chacune à leur façon une explicitation de l'articulation entre le niveau référentiel, le niveau sémantique et le niveau syntaxique.

Le plan de ce travail est le suivant. Dans la partie I, nous présentons l'ensemble des éléments qui sont nécessaires à l'analyse des voix en wolof.

Dans le chapitre 1, nous dressons une grammaire succincte du wolof. Ce chapitre comprend des éléments nécessaires à l'étude des voix et quelques remarques sur des points grammaticaux observés lors de l'examen des textes pour lesquels nous proposons une analyse personnelle. Il se divise en deux sections principales : une présentation du syntagme nominal et une présentation du syntagme verbal du wolof. Cette dernière est la plus importante pour la suite. Nous y abordons les différentes marques de conjugaison, en nous basant sur Approche énonciative du système verbal (Robert, 1991), la reconnaissance des arguments sujet et objet et les différents marqueurs d'oblique.

Dans le chapitre 2, nous apportons les éléments théoriques nécessaires à la précision de notre conception de la notion de voix. Depuis la parution de Case for case de Fillmore (1968), la littérature sur les rôles sémantiques s'est fortement développée. Cet ouvrage est à la base des nouvelles théories sur les relations grammaticales que régissent les prédicats avec leurs arguments (Functional Grammar, Dik (1989, 2001) ; Syntax, meaning and function, Van Valin et LaPolla (1997) ; A introduction to Syntax, Van Valin (2001) ; Syntax,Givón (1984, 1990, 2001). Si ces différentes théories proposent une analyse de l'expression linguistique selon les différents plans référentiel, sémantique et syntaxique, la notion de voix ne présente pas pour autant un consensus, et d'un auteur à l'autre, ce terme de voix recouvre un ensemble de phénomènes d'extension variable. Nous donnons donc dans ce chapitre notre définition de la notion de voix. Nous mettons également au clair notre conception des notions de transitivité et de valence, toujours en nous appuyant sur les différentes théories énoncées. Puis nous donnons l'inventaire des suffixes de dérivation du wolof, dans lequel nous isolons les suffixes identifiés comme relevant de la voix selon différentes descriptions de cette langue (La dérivation et la composition en wolof, KA (1981) ; Eléments systématiques du wolof contemporain, Diallo (1983) ; Le système verbal du wolof, Éric Church (1981)).

La partie II traite uniquement de ces suffixes. Les différents chapitres se répartissent par voix. Selon les voix, les chapitres présentent un suffixe ou un groupe de suffixes qui véhiculent des modifications syntaxiques et sémantiques nécessitant une présentation groupée, mais qui montrent quelques variantes, le plus souvent sémantiques, que nous isolons. La répartition de ces chapitres ne dépend pas des effets sur la structure syntaxique, réduction - augmentation, comme dans la plupart des descriptions de langues. En effet, notre but est de voir si les indications qu'on peut trouver dans les descriptions morphologiques du système verbal wolof sont confirmées. De ce fait, nous ne nous limitons pas aux seules voix productives, ni aux voix généralement considérées comme typiques des langues accusatives. Nous tentons de voir si l'ensemble des marqueurs considérés comme modifiant les relations grammaticales d'un prédicat par les différents auteurs affectent réellement les relations grammaticales et de quel type de voix il s'agit. Ainsi, la partie II prend en compte aussi bien les voix productives et traditionnellement reconnues (voix moyenne, réciprocité) que les voix productives, mais pas toujours considérées comme telles, c'est-à-dire, celles, qui pour certains auteurs n'entrent pas dans le cadre de la voix (voix causative, voix applicative), ou ne concernent pas les langues accusatives (voix antipassive). De plus, elle traite de voix qui ne sont plus productives (quelques marqueurs causatifs et le marqueur de possession externe –le).

Ainsi, l'organisation de cette partie II s'appuie sur les particularités de chacun des marqueurs que nous avons pu relever. Nous commençons, dans le chapitre 3, par la voix moyenne et les constructions réfléchies. Dans ce chapitre, nous verrons que certaines classes de verbes n'acceptent pas la dérivation moyenne, ce qui leur vaut un comportement particulier avec les marqueurs causatifs que nous présentons dans le chapitre 4. La dérivation causative est marquée en wolof par différents suffixes qui véhiculent chacun un sémantisme particulier. Une fois ces sémantismes dégagés, nous présentons les dérivations applicatives (chapitre 5) qui ont la particularité d'avoir les mêmes formes que certains marqueurs causatifs. Or, dans la littérature typologique un tel phénomène est rapporté pour d'autres langues sous la notion de syncrétisme causatif/applicatif. Dans le chapitre 6, nous utilisons des descriptions de langues génétiquement éloignées et des théories sur ce syncrétisme (Shibatani et Pardeshi (2001)) pour voir si la similarité des formes entre les marqueurs applicatifs et certains marqueurs causatifs relèvent du même phénomène en wolof. Dans le chapitre 7, nous traitons des suffixes décrits comme marquant des actions collectives et des actions réciproques, pour lesquels nous émettons l'hypothèse qu'ils résulteraient d'une simplification diachronique de plusieurs morphèmes. Il est possible d'isoler dans tous ces suffixes une voyelle –e que nous considérons comme un marqueur de pluralité de relations (Lichtenberk, 2000). À l'heure actuelle, les modifications que présentent les marqueurs d'action collective et de réciprocité n'entraînent pas nécessairement de modification syntaxique ce qui s'explique par la stratégie comitative adoptée dans cette langue (les langues WITH selon Stassen (2000)). Dans les chapitres suivants, nous retrouvons une voyelle –e qui permet dans le chapitre 8 de modifier les relations grammaticales entre le prédicat et l'objet (voix antipassive). Cette utilisation antipassive n'est pas systématique avec les verbes transitifs, cependant elle est productive avec les verbes ditransitifs. Dans le chapitre 9, nous décrivons les effets d'un suffixe –le qui d'après les données typologiques doit être considéré, synchroniquement, comme un marqueur de construction à possession externe, mais qui sur le plan diachronique peut s'expliquer comme le résultat d'un amalgame –al-e (voix applicative-marqueur d'intransitivation). En conséquence, du chapitre 7 au chapitre 9, une voyelle –e montre différents effets d'intransitivation, ces différentes fonctions peuvent, selon différentes études typologiques, être rattachées à deux voix différentes. Dans le chapitre 10, nous reprenons l'ensemble des fonctions du marqueur –e et explorons les deux pistes qu'offre la typologie. Ce chapitre clôture l'analyse des suffixes de dérivation qui entrent dans le domaine de la voix que nous avons isolés dans le chapitre 2.

Nous concluons ce travail en présentant un récapitulatif des effets de chacun des suffixes abordés