B – 1. Les catégories grammaticales

Il est utile de noter que les suffixes de dérivation appartenant au système des voix fonctionnent uniquement sur les bases verbales. Nous voulons donc porter l'attention dans cette section sur le fait que la distinction nom/verbe en wolof se fait dans de nombreux cas selon la position et les comportements combinatoires des unités lexicales.

Les catégories grammaticales se définissent par la position que peuvent occuper les unités lexicales dans une proposition. Sur cette base, on compte deux catégories grammaticales en wolof : les bases nominales et les bases verbales, complétées par des lexèmes qui sont mieux définis comme bases verbo-nominales. Dans un premier temps nous présentons ces trois groupes en commençant par les bases strictement nominales et les bases strictement verbales, puis nous présentons les bases verbo-nominales. Ensuite, nous abordons en quelques mots les catégories adjectif et adverbe, et dressons quelques mécanismes qui permettent à cette langue de pallier l'absence de ces catégories.

Il existe dans le lexique des unités lexicales qui fonctionnent uniquement comme bases nominales ou uniquement comme bases verbales, les contreparties verbales ou nominales de ces unités s'obtiennent en synchronie par dérivation. Les bases nominales, en wolof, se répartissent en différents groupes selon la marque de classe à laquelle elles sont liées et fonctionnent comme tête de syntagmes nominaux (cf. B – 2). Il existe plusieurs formes de dérivation, plus ou moins productives, –al, –e et –u qui permettent de dériver ces bases nominales en verbe.

tuuma j– Accusation tuuma-al accuser
tan g– amélioration de la santé tan-e s'améliorer la santé
gànnaay g– Arme gànnaay-u armer
‘1 a. Yaa war a wax foo wéer tuuma ji nga ko teg. (Fal)
ESuj2S devoir d.v. parler loc.-N2S fonder accusation déf. N2S 3S poser
C'est toi qui dois dire sur quoi tu fondes l'accusation que tu portes contre lui.
b. Tuumaaloon nañu ko ci càcc googu. (Fal)
accusation-al-PASSÉ P3P 3S loc. vol dém.
On l'avait accusé dans cette histoire de vol.’

Les bases verbales fonctionnent avec différentes marques de conjugaison et régissent différents types d'arguments (cf. B –3.). Ces bases verbales peuvent fonctionner comme bases nominales uniquement après dérivation. On peut constater que l'on retrouve également dans ce sens de dérivation les suffixes –u et –e. D'autres mécanismes de nominalisation sont également possibles, la nasalisation et la réduplication.

màndi être désaltéré, être ivre màndi-kat alcoolique
rëy être étendu rëy-aay grandeur
làq cacher làqu-kaay b– cachette
sopp adorer sopp-e adorateur
roof brancher roof-u g– branchement
dimbali aider n-dimbali l– aide
booloo s'assembler (boole assembler) m-booloo m– assemblée
am avoir am-am b– avoir
xew advenir, se passer xew-xew b– événement

Notre propos n'est pas de décrire ce type de dérivation, toutefois il est intéressant de noter que la dérivation en wolof est un mécanisme très productif qui ne touche pas seulement le système des voix. L'étude des voix porte, dans ce travail, uniquement sur les unités qui fonctionnent comme base verbale sans dérivation. De ce fait, les bases verbo-nominales du wolof méritent un peu de notre attention. En effet, une grande part des unités lexicales du wolof sont mieux identifiées comme des bases verbo-nominales, c'est-à-dire des unités lexicales qui, sans avoir à subir de dérivation, sont également aptes à fonctionner comme base nominale ou comme base verbale.

Dans l'exemple 2, l'unité wax est selon la position qu'elle occupe un verbe (2a.) ou un nom (2b.). En 2a., elle se combine avec les marques de conjugaison et régit un complément dëgg. En 2b., elle se combine avec un déterminant dont la consonne j–, marque de classe, ne fonctionne qu'avec certains nominaux.

‘2 a. Góor gi wax na dëgg (Contes)
homme déf. parler P3S vérité
marque de conjugaison
L'homme a dit la vérité
b. Wax jooju tàbbindoo ci noppu baay beeg bu doom ji,
parole dém. s'introduire-andoo loc. oreille-conn. père déf.-prép. conn. fils déf.
marque de classe
Ces paroles s'introduisirent dans l'oreille du père et dans celle du fils. (Contes)’

De ce fait, l'analyse des voix porte également sur ce type de verbes, même s'ils peuvent par ailleurs fonctionner comme bases nominales.

Pour les autres catégories grammaticales considérées comme universelles, les adjectifs et les adverbes, les données concernant le wolof posent quelques problèmes.

Dans cette langue, les lexèmes exprimant des notions typiquement adjectivales sont fondamentalement des verbes. Ces verbes, les verbes d'état, ont au niveau du fonctionnement prédicatif les mêmes caractéristiques que les verbes d'action et ne peuvent être distingués des verbes sémantiquement prototypiques. Ils acceptent les mêmes paradigmes de conjugaison que les verbes d'action 3 et les mêmes marques temporelles (cf. exemples 3 et 4).

‘3 a. Dafa rafet.
EVerb3S ê.belle
Elle est jolie.

b. Rafet nañu.
ê.belle P3P
Ils sont jolis.

c. ki rafetoon ba ween yeeg bët yi di wax, (Contes)
rel. ê.belle-PASSÉ ab. sein déf.P-avec œil déf.P inacc. parler
celle qui était belle jusqu'à avoir les seins et les yeux qui parlaient,’ ‘4 a. Dama ko lekk.
EVerb1S 3S manger
Je l'ai mangé.

b. Lekk naa ko.
manger P1S 3S
Je l'ai mangé.
Lekkoon naa ko.
manger-PASSÉ P1S 3S
Je l'avais mangé.’

En revanche, comme on peut le voir dans l'exemple ci-dessous en fonction de modifieurs de noms, ces verbes d'état entrent dans une construction particulière. Nous reprendrons plus loin cette construction adjectivale (B – 2.6.1.) et montrerons notamment qu'elle doit être distinguée des relatives (B – 2.6.3.).

‘5 a. Dafa bon.
EVerb3S ê.méchant
Il est méchant.

b. Buddi naa ñax yu bon yi. (Fal)
arracher P1S herbe jonc. ê.méchant déf.P.
J'ai arraché les mauvaises herbes.’

En ce qui concerne la catégorie des adverbes, il est possible de trouver une construction adverbiale qui ressemble fortement à l'emploi de verbes d'état comme modifieurs de noms. En effet, ces constructions ont une forme identique qui, selon l'élément qu'elle qualifie, se rattache à une construction adjectivale ou à une construction adverbiale. Ces constructions ont la forme C-u + verbe qualificatif (la consonne C renvoie à la marque de classe, cf. B – 1). Toutefois, lorsque cette construction a une fonction adjectivale, la position du verbe qualificatif peut être remplie par tous les verbes d'état, sans aucune restriction, tandis que dans la construction adverbiale, il ne peut s'agir que du verbe de qualité baax 'être bon, être bien'.

‘6 a. Buntu néeg bi du téju bu baax. (Fal)
porte-conn. chambre déf. ENég3S fermer-u jonc. ê.bon
La porte de la chambre ne ferme pas bien.

b. Loolu doyatu ko, mu daldi toog bu baax. (Contes)
dém. ê.suffisant-nég. 3S N3S aspect s'asseoir jonc. ê.bon
Cela ne lui suffit pas, il s'assit mieux.’

On peut constater que la construction adverbiale est séparée du prédicat qu'elle qualifie par l'indice objet (exemple 7), ce qui confirme l'analyse de cet indice d'objet comme clitique verbal.

‘7 mu déglu woy wi, jàng ko ba mën ko bu baax.
N3S écouter chanson déf. apprendre 3S ab. pouvoir 3S jonc. ê.bon
il écouta la chanson, l'apprit jusqu'à bien la savoir. (Contes)’

Au niveau lexical, des unités telles que lool 'très', ndànk 'doucement', ndànk-ndànk 'petit à petit', xaat ' avant le terme présumé', mukk 'jamais' qualifient le verbe et se placent après lui. On peut également trouver dans cette position des termes liés au temps tels que dèmb 'hier', tey 'aujourd'hui', suba 'demain, matin'…

Une partie des mots wolof qui correspondent à des adverbes de la grammaire traditionnelle ont une structure morphologique particulière “préfixe-base”où la base véhicule un signifié de type déictique ou anaphorique, et où le préfixe, qui est souvent attesté par ailleurs comme marque de classe des noms, a une valeur classificatoire. Ainsi, les adverbes de manière et de lieu, de la grammaire traditionnelle, tels que ainsi, là-bas… sont des mots constitués de deux morphèmes dont le premier est la consonne n– (manière) ou f– (lieu). Dans une section suivante, nous présentons le système de classification du wolof, dans lequel nous abordons en détail les différents morphèmes qui composent ces unités.

fi Ici fépp Partout ni comment népp ?
fa fenn quelque part na comment nenn ?
foofi Ici feneen Ailleurs nooni ici neneen autre façon
foofa là-bas fan où (inter.) noona ainsi nan comment (inter.)
foofu là-bas fu où (rel.) noonu ainsi nu où (rel.)
fale là, là-bas nale ainsi

Dans de nombreuses descriptions du wolof, les dérivations népp et nenn sont données, néanmoins nous n'avons trouvé aucune occurrence de ces formes dans notre corpus, ni même comme entrée dans le dictionnaire de Fal et al. (1990). D'après les extensions, on peut supposer que népp peut avoir le sens 'de n'importe quelle façon' ou 'de toutes les façons' et nenn 'd'une certaine façon'.

On peut notamment remarquer qu'une consonne b–, dont on peut se demander jusqu'à quel point il y a lieu de la rapprocher de la marque de classe b–, permet d'introduire des subordonnées temporelles avec les extensions –i/–a et des subordonnées hypothétiques avec l'extension –u. Certaines formes de démonstratifs (exemple 8) associées à la consonne b– se rencontrent en effet, non combinées à un quelconque substantif, avec une signification temporelle.

‘8 Booba, picc day wax (Contes)
temp. oiseau HAB.PASSÉ-inacc. parler
En ce temps-là, l'oiseau parlait’

La catégorie des adverbes en wolof demande donc, comme dans beaucoup d'autres langues, une étude plus approfondie. Notre but, dans cette section, n'est pas de faire le tour de la question de la catégorie des adverbes du wolof, mais de noter qu'à la différence des adjectifs, le terme d'adverbe regroupe plusieurs types d'unités qu'il serait peut-être bon de séparer.

L'intérêt de ce chapitre repose comme nous l'avons dit précédemment sur quelques points grammaticaux nécessaires à la compréhension des exemples qui suivront dans la partie II. Maintenant que nous avons mis plus ou moins au clair les différentes catégories grammaticales du wolof et les moyens qui permettent de différencier les noms des verbes, nous pouvons aborder les constructions du wolof. Nous présentons dans un premier temps les syntagmes nominaux et dans un second temps les syntagmes verbaux.

Notes
3.

Il est possible de trouver une différence entre les verbes d'état et d'action au niveau des marques de conjugaison, mais ces différences sont dues aux propriétés aspectuelles internes des verbes d'état, elles ne sont donc pas dues à un comportement différent.