C – La notion de voix

Après avoir donné la définition du terme de voix qui sera utilisée dans la suite de cette étude, nous présentons les différents phénomènes que cette définition permet de rattacher à la notion de voix.

D'un auteur à l'autre, le terme de voix peut avoir une extention variable. Pour certains, relèvent de la voix uniquement les manipulations sur les rôles sémantiques présents dans la valence du verbe non dérivé, ce qui exclut du champ de la voix : causatif et applicatif (Klaiman, 1988). Pour d'autres, ne relèvent de la voix que les manipulations touchant aux rôles sémantiques du sujet, ce qui exclut antipassif et applicatif (Shibatani, 1988). Pour la plupart, ce terme implique un marquage morphologique, cependant, chez certains auteurs cette condition n'étant pas nécessaire, toutes les manipulations qui touchent à la valence du prédicat non dérivé relèvent de la voix (Givón, 2001).

Notre usage du terme de voix est le suivant : nous considérons la voix comme un mécanisme dans lequel le syntagme verbal est modifié (soit par affixation, soit par la constitution d'une forme verbale composée dont l'un des termes a les caractéristiques morphologiques d'un verbe mais fonctionne par rapport à l'autre terme comme un opérateur de voix), ce marquage impliquant une modification de la valence (syntaxique et/ou sémantique) du prédicat. Autrement dit, relèvent de la voix toutes les constructions où un marqueur provoque une réorganisation de la relation entre les fonctions syntaxiques et les rôles sémantiques qui sont liés au prédicat.

À partir de cette définition, une première grande subdivision peut être effectuée. Nous séparons les mécanismes qui peuvent modifier les rôles sémantiques eux-mêmes, sans pour autant avoir un effet sur la valence, de ceux qui opèrent seulement sur la distribution argumentale des rôles sémantiques, c'est-à-dire ceux qui opèrent sur la valence. Dans l'exemple (133a.), on peut reconnaître au sujet les œufs un rôle de siège du procès semblable à celui de l'objet du verbe transitif casser. Le rôle d'agent, quant à lui, doit être attribué à un participant non explicitement exprimé, il y a donc réduction de la valence. Dans l'exemple (133b.), on reconnaît également un rôle de siège du procès au sujet les œufs, mais ce rôle sémantique de siège est en partie modifié par le caratère agentif (non prototypique) ajouté par le morphème de voix se. C'est dans ce cas que nous parlons de remodelage des rôles sémantiques attribués par le prédicat.

‘133 a. Les œufs ont été cassés.
b. Les œufs se sont cassés.’

Cette première subdivision peut être à nouveau divisée de la façon suivante :

Toutefois, ces modifications ne permettent pas de distinguer les caractéristiques des voix particulières. À l'intérieur de chacun de ces groupes, les fonctions syntaxiques ou sémantiques qui sont affectées permettent de différencier les groupes de modifications suivants :

Enfin, si l'on associe à ces sous-types, d'une part les fonctions sémantiques des arguments affectées par les voix qui modifient la valence et d'autre part, les fonctions syntaxiques qui sont affectées par les voix qui remodèlent les rôles sémantiques, on obtient les voix suivantes.

La seule voix qui a pour effet d'augmenter la valence d'un sujet est la voix causative traditionnellement présentée comme ajoutant un sujet / causateur.

Il existe également une seule voix qui a pour effet d'augmenter la valence du verbe d'un objet, la voix applicative. Toutefois, il est possible de rencontrer dans la littérature, d'autres termes pour cette voix :

Pour l'ensemble des dérivations qui présentent les caractéristiques sémantiques décrites ci-dessus, il est possible d'appliquer le terme général d'applicatif. Néanmoins, en dehors d'un problème de cohérence terminologique, le terme d'applicatif peut être utilisé, soit parce que dans la langue décrite le morphème applicatif n'affecte qu'un de ces rôles (par exemple, bénéficiaire), soit parce que la langue décrite n'a qu'un seul marqueur applicatif pour plusieurs de ces rôles. Dans ce cas, on trouve également dans les descriptions des termes du type voix ablative-instrumentale.

Pour les voix qui diminuent la valence, il existe une seule voix qui diminue la valence d'un sujet, la voix passive. Cette voix, à la différence des autres voix qui ont un effet sur la valence, réorganise le plus souvent la structure argumentale puisque le patient prend la position de sujet. La voix antipassive, quant à elle, est la seule voix qui diminue la valence du prédicat non dérivé d'un objet (élision ou destitution en oblique).

À l'inverse, les voix qui remodèlent les fonctions sémantiques touchent toutes l'argument nucléaire sujet. On trouve dans ce groupe, tout d'abord, la voix moyenne qui, selon son extension cumule plus ou moins les rôles agent et patient sur le sujet. De part ces caractéristiques, cette voix englobe, selon les langues, l'expression de la réflexivité. La voix réciproque touche, elle, le sujet et l'objet qui présentent les rôles sémantiques d'agent et de patient. Nous insérons également dans ce groupe, les dérivations qui touchent le sujet et un autre argument (objet ou comitatif) en leur attribuant les rôles d'agent et de co-participant (ou co-agent), les mêmes marqueurs pouvant lier, dans certaines langues, deux objets comme patient et co-affecté.

Selon les langues, le marqueur de voix moyenne et de réciprocité est identique, la tendance la plus générale est de regrouper l'expression de la réciprocité comme une des fonctions de la voix moyenne. Dans d'autres, l'expression de la réciprocité partage le même marquage que les actions collectives, dans ce cas, ces dernières sont considérées comme une extension de la voix réciproque.

La présentation des voix qui vient d'être faite se base sur les caractéristiques générales que nous avons présentées dans les sections précédentes, rôles sémantiques généraux d'agent et patient, valence… Elle met en évidence les relations grammaticales qui sont modifiées, mais elle ne montre pas la façon dont ces modifications sont organisées dans les propositions, ni les restrictions auxquelles elles sont liées. Dans la partie II, les morphèmes de voix du wolof sont rassemblés selon le type d'argument qu'ils modifient, avant de présenter les transformations qu'ils provoquent dans les propositions en wolof, chaque voix sera présentée sur le plan typologique. Dans ces sections, nous entrons dans le détail des formes des marqueurs que peuvent prendre ces voix selon les langues. Étant donné qu'ils sont liés au syntagme verbal, ils peuvent entrer dans la catégorie des affixes, des auxiliaires ou des verbes. Nous présentons ensuite la structure propositionnelle qu'impliquent ces marqueurs selon la forme qu'il présentent : proposition simple, proposition à prédicat complexe ou proposition complexe (principale et subordonnée). Puis nous donnons les différentes fonctions que ces marqueurs de voix peuvent véhiculer dans les langues. Ce cadre typologique qui précède chaque chapitre de la partie II donne la structure des sections portant sur les dérivations du wolof et permet de cerner au mieux, les structures propositionnelles que ces marqueurs provoquent et les fonctions qu'ils véhiculent. Mais avant de présenter les modifications qu'entraînent les dérivations wolof, il nous reste à présenter, comment les notions de valence et de transitivité s'appliquent aux verbes non dérivés de cette langue et d'introduire, enfin, les suffixes de dérivation verbale du wolof.