B – 1.2. Les fonctions de la voix moyenne

Les fonctions de la voix moyenne peuvent être mises en évidence par plusieurs éléments. Tout d'abord, comme nous l'avons vu dans les différents marquages des langues à système moyen, les constructions réfléchies et réfléchies indirectes qui constituent des fonctions de voix moyenne, peuvent être, selon les langues, différenciées par les outils morphologiques. Hormis le marquage, la différence entre la fonction réfléchie et les autres fonctions moyennes n'est pas toujours facile à établir, notamment la différence entre la fonction réfléchie et la fonction moyenne dite autocausative. Comme nous l'avons déjà remarqué, certaines situations moyennes sont très proches sémantiquement des vraies situations réfléchies, car le participant qui réalise l'action et celui qui en est affecté renvoient au même référent. Néanmoins, dans les situations moyennes, la nature du référent agent et celle du référent patient ne sont pas aussi distinctes que dans les situations réfléchies. C'est ce que Kemmer (1993) nomme la faible élaboration des participants. Cette distinction particulièrement difficile à établir pour la fonction autocausative provient du fait qu'il s'agit, à la différence des situations réfléchies, de situations impliquant une coréférence intrinsèque.

Sur le même principe, les différentes fonctions moyennes sont dissociées entre elles (fonction réfléchie inclue) selon plusieurs critères, sur le plan référentiel, selon le niveau d'agentivité du sujet dans la proposition dérivée, sur les transformations syntaxiques par rapport à la structure de la proposition non dérivée… Cette dégradation de l'agentivité pour caractériser différentes fonctions n'est jamais donnée de façon explicite, cependant on retrouve cette idée dans différents ouvrages. Cette dégradation du caractère agentif du sujet de la proposition dérivée conduit Geniusiene (1987) à présenter les modifications de certaines propositions moyennes sous le même modèle que des transformations passives (7, 8, 13 et 14) 24 .

Deux ouvrages, Kemmer (1993) et Geniusiene (1987), servent de base à cette étude. Ces deux ouvrages utilisent des perspectives différentes qui loin de les dissocier, les rendent complémentaires. Ces deux auteurs tentent de rendre compte du continuum des propositions marquées à l'aide de critères différents. Kemmer adopte une perspective sémantico-cognitive, basant son analyse sur deux notions fondamentales : la relative élaboration d'un événement et la relative distinction des participants. Geniusiene utilise principalement des critères syntaxiques en relation aux plans référentiel et sémantique pour définir les différentes fonctions.

L'analyse de Kemmer est principalement basée sur les types de procès qui tendent à être exprimés par des verbes morphologiquement marqués comme moyens dans les différentes langues du monde. Cette étude lui permet, entre autres, d'expliquer les exceptions que l'on rencontre fréquemment lorsque l'on s'intéresse à la voix moyenne et de définir sur quelles bases, principalement sémantiques, certaines langues montrent une richesse de fonctions moyennes. Kemmer remarque que la voix moyenne montre une affinité avec les actions sur le corps d'une façon générale. Les langues qui ont une voix moyenne marquent ces verbes qui peuvent être divisés en différentes classes selon les modifications apportées sur le corps. Elle distingue 4 groupes de verbes d'action sur le corps : les actions de toilette, les actions de changement de posture, les mouvements non translationnels et les mouvements translationnels. Ainsi, si une langue possède un système moyen, les verbes appartenant à ces champs sémantiques devront montrer une dérivation moyenne, et ce même si avec le marquage moyen certaines langues montrent avec une ou plusieurs de ces classes verbales des comportements particuliers.

D'autres verbes peuvent également recevoir un marquage moyen sans pour autant appartenir à une de ces classes, ils véhiculent des fonctions moyennes telles que le décausatif, le neutro-passif ou quasi-passif qui sont plus éloignés de la fonction réfléchie. Certaines langues, telles que l'espagnol ou le russe présentent des systèmes de dérivation moyenne très larges. Elles utilisent le marqueur moyen pour construire des propositions dont le sens est rendu dans d'autres langues, soit par la dérivation passive, soit par une dérivation antipassive.

RefS RolS SynS Semantic RV types
Ref1 Ref2 Sb Ob S DO
1 + ø + + + ø semantic réflexives
2 + + + + + ø 'partitive object' RVs,
'absolute' RVs
3 + ø + ø + ø autocausative RVs
4 + + +/Ob Sb/+ + S reciprocal (RVs)
5 + + + + + OblO deaccusative RVs
6 + + + -Ob + OblO deaccusative RVs
7 ø + + + Ø S decausative RVs
8 + + + + Ø S quasi-passive RVs
9 + + + + AO S reflexive passive
10 + + + + OblO + type (3b) RVs
11 + + Sb Sb OblO S converse RVs
12 + + + + OblO S type (17b) RVs
13 + + + + Ø + impersonnel passive
14 + + Sb/+ Sb/+ OblO S reflexive-causative RVs
15 + + + + + + type (1b) RVs
Notes : the plus indicates that the initial constituent remains unchanged.

Même si d'après les caractéristiques lexicales et sémantiques des verbes, il est possible de leur rattacher, par défaut, des fonctions différentes, ces fonctions dépendent également d'autres critères tels que le type de référent dans la position sujet et objet. De ce fait, les verbes entrent dans des fonctions moyennes différentes selon la classe lexicale à laquelle ils appartiennent et le type de référent qui entre dans la position sujet de la proposition dérivée. C'est pourquoi, des fonctions moyennes différentes sont à rattacher aux propositions suivantes qui utilisent néanmoins un même prédicat.

‘171 a. Ma fille se lave.
b. Cette chemise se lave facilement.
’ ‘172 a. Cet homme se lève.
b. Le rideau se lève.’

Les propositions 171b. et 172b. ont une fonction moyenne dite décausative. Tandis que les propositions 171a. et 172a. où le même prédicat a un sujet humain sont à rattacher à la fonction autocausative. C'est sur ces différences que l'analyse des fonctions moyennes de Geniusiene est complémentaire de celle de Kemmer. Les différences que nous venons de décrire entre ces propositions sont inscrites dans son analyse. En effet, la fonction décausative provient, d'après l'analyse de Geniusiene, du fait que le sujet du prédicat dérivé correspond à l'objet de la proposition non dérivée (cf. 7, tableau 23), tandis que les sujets des prédicats dérivés de fonction autocausative sont des sujets envisageables pour les propositions non dérivées (cf. 2 et 3, tableau 23).

Le croisement de ces deux ouvrages sur la voix moyenne permettrait de mieux cerner les différentes fonctions moyennes. Cependant, nous ne nous lancerons pas dans une telle entreprise. Dans la section suivante, nous définissons les fonctions moyennes les plus communes en utilisant au mieux les éléments des deux ouvrages. Puis nous décrivons les fonctions de la voix moyenne en wolof.

Notes
24.

cf. tableau 23.