Les actions de toilette
Dans les exemples 183 et 184, nous avons des verbes appartenant à des situations définies comme des 'actions de toilette' qui montrent à travers les langues une affinité avec la voix moyenne et sont considérées comme pouvant exprimer des situations moyennes autocausatives. Dans les propositions (a.), les prédicats présentent des structures sémantique et syntaxique bivalentes : le rôle d'agent est repris par l'argument sujet et le rôle de patient est porté par l'objet. Dans les constructions (b.) et (c.), le suffixe –u marque le cumul de ces rôles sémantiques sur les sujets et une réduction de la valence. Le suffixe –u, en tant que marqueur de la voix moyenne en wolof, indique que les deux rôles sémantiques liés habituellement à deux participants et repris par deux arguments dans l'expression active sont ici remplis par le même référent et donc reportés sur un seul argument.
‘183 a. Mu dikk, ndey ji di ko sang ak a defar. (Contes)L'argument sujet est humain, mais la langue n'interdit pas ce type de construction aux autres êtres animés, sans modification particulière de la proposition.
‘185 Gaynde yi sangu nañu ci dëx gii.Dans la présentation typologique, nous avons indiqué que certaines langues autorisent des propositions dérivées transitives, lorsque l'action porte sur une partie du corps. En wolof, il n'est pas possible de donner à ces verbes dérivés des structures transitives. À la différence du français, il n'est pas possible d'avoir dans la même construction le nom de la partie du corps affectée et le marqueur moyen.
‘186 a. Je lave l'enfant Je me suis lavé (le corps entier) Je me suis lavé les piedsAinsi, en wolof, les 'actions de toilette' lorsqu'elles sont effectuées par une entité sur elle-même touchent par défaut une partie du corps variant selon les verbes (cf. tableau 25). Si l'on veut l'expliciter ou en nommer une autre, la construction active est obligatoire.
Sangu | se laver (le corps entier) |
Raxasu | se laver (les mains) |
Watu | se raser (la barbe ou les cheveux) |
Peñewu 28 | se peigner (les cheveux) |
Jamu | se tatouer (les lèvres ou les gencives) |
Certains événements liés aux actions de toilette présentent d'autres différences. Le prédicat létt 'tresser' a le même comportement que les autres prédicats de cette classe.
‘187 Dama defe ni woon dafa léttu ndekete dafa poose. (Fal)Cependant, chez les Wolofs, comme dans la plupart des sociétés africaines, une femme ne se tresse jamais elle-même, c'est toujours une amie, une parente qui la tresse. Ainsi, la forme létt-u signifie 'se faire tresser' et non 'se tresser soi-même'.
‘188 a. Dafa daan létt mbëri làmb yéek Buur yi. (Contes)L'analyse de ce prédicat diffère donc des autres actions de toilette. Un seul référent cumule les rôles de participants, mais ces rôles diffèrent autant au niveau référentiel qu'au niveau sémantique. Nous avons avec le verbe létt au niveau référentiel les rôles causateur/tressé, qui se retrouvent sur l'argument sujet sous les rôles sémantiques de causateur/patient.
Si l'on prête attention aux différents prédicats qui entrent dans cette fonction moyenne, la différence sémantique que l'on vient de relever pour létt 'tresser' est étendue à d'autres activités, telles que bënnu 'se (faire) percer les oreilles' (189), jamu 'se (faire) tatouer' … qui présentent également des structures particulières au niveau sémantique, c'est-à-dire où la dérivation moyenne réduit la valence du réel agent de l'action et réinterprète l'action dans l'expression linguistique en présentant le causateur/patient comme l'agent (causataire)/patient.
‘189 a. Bënn nañu noppi liir bi. (Fal)Le fonctionnement de ces événements présentés comme véhiculant une fonction autocausative reprend assez fidèlement les caractéristiques mises en évidence par la typologie. Nous retrouvons au niveau sémantique un cumul de rôles sur l'argument sujet lié à la structure intransitive du verbe dérivé et au sens actif du prédicat allant de pair avec le caractère initiateur du sujet.
La fonction autocausative n'est pas restreinte aux actions de toilette, elle s'étend à d'autres actions sur le corps, telles que mordre qui, dérivé par le marqueur moyen, prend la signification de se mordre la lèvre inférieure.
‘190 a. Xaj a ko màtt. (Fal)Autres actions sur le corps
Les autres classes de verbes d'action sur le corps, les verbes de position et de mouvement, autorisent rarement la dérivation moyenne. Pour les verbes de posture, à partir du dictionnaire de Fal et al. (1990), nous avons pu établir une liste de 16 verbes pouvant relever de cette classe. Aucun de ces verbes n'autorise de dérivation moyenne. Comme on peut le voir dans le tableau 26, un seul de ces verbes 29 est dérivé par –u. La forme moyenne apparaît après la dérivation –andi décrite comme limitative, c'est-à-dire qui restreint l'action décrite par le prédicat. Dans ce cas précis, le limitatif de s'agenouiller serait s'appuyer sur un genou, mais qui, pour avoir ce sens moyen, nécessite la dérivation moyenne. Autrement dit, nous considérons la dérivation moyenne comme étant celle de la forme sukkandi, non celle de sukk.
verbe | valence | sens possibles | Marquage possible par –u | ||
toog | intr. | s'asseoir | être assis | ||
jóg | intr. | se lever | être levé | ||
tëdd | intr. | se coucher | être couché | ||
sukk | intr. | s'agenouiller | être agenouillé | sukkandiku | s'appuyer sur |
jaaxaan | intr. | se coucher | être couché sur le dos |
Les événements qui autorisent une dérivation en –u ne présentent pas synchroniquement de radical de base, il s'agit donc de verbes déponents 30 .
gapparu | s'asseoir en tailleur |
fere N laayu | s'asseoir les jambes croisées |
Dëféenu | être couché sur le ventre |
Les verbes wolof de changement de posture sont intégrés par Robert (1991) avec d'autres types d'action dans les procès discrets.
‘“Une sous-catégorie de verbes que nous proposons d'appeler “résultatifs”: il s'agit de procès comme tëdd“se coucher”, toog“s'asseoir”, taxaw“se lever”, miin“s'habituer à”… dont l'action débouche toujours sur un état du sujet ; tant qu'il n'y a pas interruption de l'état en question, on peut considérer que le fonctionnement du procès par rapport au temps est le même et que les fluctuations dans l'interprétation temporelle sont dues à une pondération, variable selon le contexte, sur l'action ou sur l'état (“il s'est couché”/ “il est couché”…) : il y a bien toujours eu franchissement dans le temps de cette limite interne (“il s'est couché, c'est pourquoi il est actuellement couché”).” (Robert, 1991 : 60)’La sous-catégorie des verbes résultatifs de Robert suit la définition des verbes inchoatifs présentés dans le chapitre 2. Nous avons, en effet, indiqué que les verbes de mouvement du wolof entrent dans la catégorie des verbes inchoatifs (Croft, 1994, Talmy, 2000) et ont un sujet self-agent, c'est-à-dire cumulant les rôles agent et patient. C'est la raison pour laquelle ces prédicats n'acceptent pas la dérivation moyenne, puisqu'ils expriment déjà le cumul que marque ordinairement la dérivation moyenne ou si l'on reprend l'analyse de Talmy (2000), sont lexicalisés à l'aspect inchoatif, c'est-à-dire avec un sémantisme moyen.
Ainsi, dans l'exemple 191, le verbe monovalent toog a deux interprétations possibles (stative et inchoative) en isolation au Parfait 31 (191a.) et au Présentatif (191b.), alors que le Présentatif est généralement considéré comme incompatible avec les verbes d'état. Dans les propositions (c.) et (d.), la marque de conjugaison mu correspond au Narratif et on retrouve les deux interprétations de ce verbe, la signification ne dépend donc pas des différentes marques de conjugaison dans lesquelles on peut le rencontrer, mais dépendent des caractéristiques propres à ces verbes et du contexte.
‘191 a. Toog naa.Dans la présentation typologique, nous avons noté que ce phénomène est fréquent avec de tels événements. En wolof, comme dans la plupart des langues qui attestent ce phénomène, lorsque ce type d'événement est réalisé avec deux référents distincts, la dérivation causative est nécessaire 32 .
‘192 Toogal naa nenne bi.Il en va de même pour les verbes de mouvement translationnel 33 et non translationnel. Cependant, comme on peut le voir dans les tableaux 27 et 28, quelques verbes peuvent recevoir une dérivation moyenne (liste exhaustive) sur les 91 verbes de mouvement translationnel et les 36 de mouvement non translationnel relevés dans le dictionnaire de Fal et al. (1990).
Firi | détendre | Firiku | se détendre |
Fudd | étirer | Fuddu | s'étirer |
yëngal (tr.) | remuer | Yëngu (intr.) | remuer, bouger |
dëdd (tr.) | quitter | dëddu (tr.) | tourner le dos, se détourner |
Le seul verbe de mouvement translationnel qui accepte la dérivation moyenne est intéressant car non conforme aux structures moyennes décrites jusqu'à présent. Nous avons vu que quelle que soit l'action sur laquelle porte la dérivation moyenne, les prédicats dérivés présentent un réduction de la valence.
Seul dëddu conserve la structure syntaxique du prédicat non dérivé. Nous n'avons qu'une occurrence du prédicat dëdd dans nos données qui est dans une structure intransitive.
‘193 Dafa dëdd, nga agsi ; xaw ngeen fi tase. (Fal)Cependant, Diouf (1994 : 83) le présente comme un verbe bivalent. Dans l'exemple 194, le prédicat dérivé dëddu est également bivalent, mais les modifications sémantiques apportées par –u restent identiques aux autres dérivations moyennes. Sur le sujet inclus dans la marque de conjugaison dafa sont cumulés les rôles d'agent et de patient et l'objet ma est le repère 'spatial' du mouvement du sujet.
‘194 Sama xarit la woon, léegi dafa ma dëddu. (Fal)Il s’agit effectivement d’un emprunt au français.
On peut également noter wengalu 's'asseoir de travers, s'asseoir sur une fesse', mais pour lequel le radical de base est weng 'se pencher'. Ainsi, la base qui sert à la dérivation entre dans la classe des verbes de mouvement non translationnel. De plus, la dérivation intermédiaire –al qui forme le dérivé wengalu peut difficilement être liée au marqueur causatif ou au marqueur applicatif d'après les caractéristiques dégagées pour chacune de ces formes –al (cf. chapitre 4 voix causative et 5 voix applicative), on peut ainsi dire que quelle que soit la voix à laquelle ce marqueur peut être rattaché, il a perdu son sémantisme.
Selon Kemmer (1993), les verbes déponents sont des verbes moyens dérivés pour lesquels la contrepartie non dérivée n'existe pas (ou plus).
Pour plus de détails sur les marques de conjugaisons cf. chapitre 1, B – 3.2. et Robert (1991).
Les dérivations et constructions causatives sont présentées au chapitre 4.
De nombreux verbes de mouvement translationnel sont formés à l'aide de réduplication et d'une manière générale, dans ces trois classes de verbes (position, mouvement translationnel et non translationnel) on trouve quelques idéophones tels que ne tàcc 's'aplatir', ne walbit 'se retourner brusquement', ne fojjet 'se lever droit', ne rett 's'arrêter'. La construction la plus courante des idéophones du wolof fait appel au verbe ne 'dire' qui fonctionne comme verbe-support.