B – 2.2. La fonction décausative

La fonction décausative permet de passer sous silence l'initiateur de l'action (de façon volontaire ou par ignorance) et de présenter ainsi l'événement comme plus ou moins spontané, ou d'insister sur la prédisposition à subir ce type de processus.

‘195 a. Ngalla, bul ubbi bunt bi ! (Fal)
De.grâce nég.inj.-imp. ouvrir porte déf.
De grâce, n'ouvre pas la porte !

b. Yaa ngi bàyyi bunt bi ubbiku
Prés2S Prés. laisser porte déf. ouvrir-u

ba yoo yi solu ci néeg bi. (Fal)
temp. moustique déf.P introduire-u loc. chambre déf.
Tu as laissé la porte s'ouvrir si bien que les moustiques se sont introduits massivement dans la chambre.’ ‘196 a. Tëj na bunt bi ? (Fal)
fermer P3S porte déf.
A-t-il fermé la porte ?

b. Buntu néeg bi du téju bu baax. (Fal)
porte-conn. chambre déf. ENég.3S fermer-u jonc. ê.bon
La porte de la chambre ne ferme pas bien.’ ‘197 a. Mu ngi laxasoon sikkimam ci ndigg li. (Contes)
Prés3S Prés. accrocher-PASSÉ barbe-poss3S loc. taille déf.
Il avait enroulé sa barbe autour de la taille.
b. Dindi na tobb gi laxasu woon ci cari garab gi. (Fal)
enlever P3S gui rel. accrocher-u PASSÉ loc. branche-conn. arbre déf.
Il a enlevé le gui qui s'était accroché sur les branches de l'arbre.’

Cette fonction est à dissocier de la fonction neutro-passive et de la dérivation passive. Dans la dérivation passive, même si selon les langues, la présence de l'agent est obligatoire ou absolument interdite, l'argument sujet de ce type de proposition n'est pas envisagé comme pouvant être également l'initiateur de l'action.

De plus, quel que soit le sémantisme de l'argument sujet, pour certains de ces événements et même lorsque le sujet est humain, l'événement ne peut être compris comme émanant de lui, il s'agit forcément d'une cause étrangère. On trouve par exemple, en wolof, des verbes dérivés pour lesquels la cause est forcément extérieure.

‘198a. Lor nga ma; toj nga sama leget gi. (Fal)
porter.préjudice P2S 1S casser P2S poss1S calebasse déf.
Tu m'as porté préjudice ; tu as cassé ma calebasse.
b. Bi ñu koy yóbbu loppitaan la faf loru (Fal)
temp. N3P 3S-inacc. emmener hôpital EC3S finir.par porter.préjudice-u
C'est au moment où on allait le mener à l'hôpital qu'il a fini par mourir.’

Ce type d'événements est décrit comme “strategy for portraying situations in which there is in fact some entity with the canonical proprieties of a causer, but that entity's role in the event is for pragmatic reasons deemphasized” (Kemmer, 1993 : 145). Ce qui est également le cas pour l'événement de l'exemple 196 où, même si la porte est présentée comme participant unique de l'action, il représente un cas typique d'événement spontané. La différence la plus importante entre ce type d'événements et les actions sur le corps, est l'absence de volonté de la part du participant unique : il ne s'agit plus d'un agent prototypique, le caractère patient de l'entité est plus fortement ressenti.

Cette fonction décausative est, si l'on se base sur la structure syntaxique des différentes fonctions moyennes, la dernière fonction de dérivation moyenne. Toutefois, le sémantisme de certaines de ces constructions moyennes semble se rapprocher de celui de la fonction quasi-passive. La non attestation de la fonction quasi-passive s'appuie sur l'absence de complément d'agent dans les propositions moyennes. Toutefois, la voix passive n'existe pas en wolof et même dans les constructions causatives, l'agent de l'action causée n'est jamais introduit en position oblique. En fait, il n'existe aucun outil morphologique permettant d'introduire un agent en position d'oblique dans les propositions du wolof. Or, le dernier exemple (198) et les exemples suivants conduisent à supposer que la dérivation moyenne permet également dans cette langue d'exprimer des situations dans une même perspective que la voix passive, c'est-à-dire de présenter l'événement sous l'angle du patient, mais dans ces propositions l'insertion de l'initiateur n'est pas possible.

‘199 a. Abdu sakk na pax mi. (Diouf)
Abdou boucher P3S trou déf.
Abdou a bouché le trou.

b. Pax mi sakku na. (Diouf)
trou déf. boucher-u P3S
Le trou est bouché.’ ‘200 a. Waa gox bi fal nañu Abdou. (Diouf)
gens quartier déf. élire P3P Abdou.
Les gens du quartier ont élu Abdou.

b. Abdou falu na (Diouf)
Abdou élire-u P3S
Abdou est élu.’

Dans ces exemples, les verbes dérivés ne présentent pas de cumul sémantique de rôles, la dérivation en –u permet de décausativiser au sens propre ces verbes d'action. Cette fonction se retrouve, par ailleurs, avec des verbes d'action bivalents qui expriment dans une structure intransitive un sémantisme moyen sans marque. La dérivation moyenne de tels prédicats correspond à un verbe d'état (raatale 'se barbouiller, barbouiller', raataloo 'être barbouillé, être étourdi'), elle marque dans ce cas une fonction décausative.

‘201 a. Xale bi raatale na laax bi ci dënn bi. (Fal)
enfant déf. barbouiller P3S bouillie.de.céréale déf. loc. poitrine déf.
L'enfant s'est barbouillé la poitrine de bouillie de céréales.

b. Raatale na lépp, defaatleen beneen yëgle ! (Fal)
barbouiller P3S tout faire-it.-imp.2P autre annonce
Il a tout embrouillé, faites une autre annonce !

c. Moom dafa raataloo lool, (Fal)
3S EVerb3S barbouillé-u trop

dangay bind li nga koy jëndloo.
EVerb2S-inacc. écrire rel. N2S 3S-inacc. acheter-loo
Lui, il est trop étourdi, il faut écrire ce que tu veux lui faire acheter.’

Comme nous l'avons indiqué dans la présentation typologique, la dérivation moyenne permet dans certains cas d'exprimer des sémantismes proches de la voix passive. Ceci ne signifie pas que la dérivation moyenne doit être considérée comme une dérivation passive. Dans les sections précédentes, nous avons montré que cette dérivation permet dans d'autres contextes de marquer un cumul de rôles sur l'argument sujet. Ainsi, d'après les valeurs dégagées dans ces propositions dérivées, nous ne concluons pas comme Diouf que :

‘“Le passif existe assurément en wolof. Il y a d'une part une construction passive non marquée, caractérisée par une ambiguïté morphosyntaxique, et d'autre part, une construction passive marquée (en l'occurrence par le morphème u).” (Diouf, 1994 : 83)’

Nous concluons plutôt que le suffixe –u est un des deux marqueurs du système moyen wolof qui part de la fonction autocausative et s'étend jusqu'à la fonction décausative, voire quasi-passive, même si l'agent ne peut être introduit dans la proposition de par les caractéristiques morpho-syntaxiques de cette langue. En ce qui concerne le sémantisme moyen non marqué relevé par Diouf, nous avons vu que certains verbes wolofs sont lexicalisés avec un sémantisme moyen (inchoatif). Les cas particuliers décrits par Diouf ne concernent pas ces verbes; mais des verbes d'action bivalents, ou du moins le verbe jaay 'vendre' qui selon le sujet peut avoir une interprétation d'activité (202) ou d'état (203).

‘202 Omar du jaay (Diouf)
Omar ENég3S. vendre
Omar ne vend pas.’ ‘203 Bët du jaay. (Diouf)
œil ENég3S. vendre
L'œil ne se vend pas.’

Plusieurs remarques peuvent être faites sur ces constructions. Pour l'exemple 202, nous verrons dans le chapitre 8 que le wolof possède une voix antipassive qui permet d'omettre l'objet ou le récepteur d'une action, mais qui est restreinte à certains prédicats. Autrement, comme dans la plupart des langues accusatives, l'omission de l'objet se fait sans marquage particulier et permet d'exprimer dans certains contextes l'habitude, sémantisme renforcé dans le cas du wolof par l'utilisation du Négatif emphatique (Robert, 1991 : 292). L'explication de l'exemple 203 est moins évidente. D'après les différentes valeurs illustrées pour la dérivation moyenne du wolof, on s'attend effectivement à la présence de –u. Malgré tout, dans l'article de Diouf (1984), le cas de 'passive sans marque' de type bët du jaay n'est illustré que par ce verbe. La plupart du temps, comme nous l'avons vu en wolof, l'expression de tels événements passe par la dérivation moyenne.

‘204 Garab gi daanu na.
arbre déf. terrasser-u P3S
L'arbre est tombé.’

Pour jaay, on peut supposer que comme la forme dérivée jaayu a un sémantisme particulier se vendre, se prostituer, l'expression de situations dans lesquelles on focalise l'attention sur l'objet inanimé d'une action, qui a par ailleurs une dérivation moyenne plus ou moins lexicalisée, se fait au travers d'une proposition intransitive, comme si le prédicat pouvait être un verbe inaccusatif. Dans ce cas, toutes les marques de conjugaison ne sont pas possibles, à la différence de son correspondant inergatif.

‘205 Mu ngi jaay
Prés3S Prés. Vendre
Il vend/*Il se vend.’

Alors que le Présentatif est compatible avec les verbes moyens.

‘206 Mu ngi daanu.
Prés3S Prés. terrasser-u
Il tombe. (valable pour un être animé comme pour un être inanimé)’