B – 3.1. Le sémantisme des causatives lexicales en wolof

D'après les données typologiques développées dans la section précédente, nous pouvons poser que les causatives lexicales en wolof ont un sémantisme direct, ce qui implique que la structure sémantique dans laquelle entrent ces prédicats peut être décrite de la façon suivante : le causateur intervient directement dans l'événement causé et le causataire est un patient.

‘312 bu ngeen gaawul mu dee. (Fal)
hyp. N2P se.dépêcher-nég. N3S ê.mort
si vous n'intervenez pas rapidement, il va mourir.’ ‘313 Rey naa ko ! (Contes)
tuer P1S 3S
Je l'ai tué !’

Dans l'exemple ci-dessus (313), cela revient à dire que si le causataire ko est mort, c'est que le causateur l'a tué. C'est ce que Croft schématise dans les Idealized Cognitive Models de la façon suivante :

Le sémantisme de telles causatives lexicales ne peut être étendu à un sémantisme sociatif. Le rôle patient du causataire ne peut permettre à ces formes d'exprimer l'intervention du causataire dans la réalisation de l'action causée.

Dans l'identification des causatives lexicales du wolof, nous avons repéré des causatives pour lesquelles il est possible d'identifier un morphème de dérivation, mais qui n'est plus productif à l'heure actuelle. Il s'agit des causatives dérivées en –e. On retrouve avec ces causatives l'expression d'une causation directe. Mais à la différence des causatives lexicales labiles, une extension sémantique est possible. Ainsi, dans l'exemple 314, la forme causative génne de génn 'sortir' a soit une valeur sémantique directe, soit une valeur sémantique sociative.

‘314 Génne naa ko.
sortir-e P1S 3S
Je l'ai sorti.’

Les deux valeurs sémantiques liées à ces causatives lexicales dépendent du contexte et de la nature du causataire. Ainsi, par exemple, la forme Génne naa ko peut être utilisée lorsque ko renvoie à un objet inanimé. L'objet est dans l'état de 'être dehors' par l'action directe du causateur. L'utilisation sociative ne se rencontre que lorsque ko, pronom objet de troisième personne, renvoie à une personne. Si cette personne n'a pas l'habitude de sortir, reste tout le temps chez elle, on peut utiliser Génne naa ko dans le cas où un soir on a décidé de la faire sortir, donc de l'emmener avec soi faire un tour au ciné, au café… Par rapport aux différentes valeurs sociatives que nous avons décrites dans la partie typologique, on peut donc noter que la valeur que véhiculent ces formes correspond à celle qui est nommée causation sociative d'action jointe.

Les causatives lexicales à deux formes du wolof permettent donc d'exprimer deux types de causation, soit une causation directe, soit une causation sociative. Mais il y a une différence dans le sémantisme des causatives lexicales à deux formes. Les causatives lexicales labiles expriment seulement une causation directe, tandis que les causatives pour lesquelles il est possible de mettre en évidence une dérivation permettent d'exprimer une causation directe et une causation sociative d'action jointe.

Avant de passer à l'analyse des causatives lexicales à une forme, il nous faut présenter le sémantisme d'un type de causatives lexicales à deux formes. Dans la présentation de ces causatives, nous avons introduit des paires de verbes qui avaient chacun un sens causatif, le second pouvant être présenté comme le correspondant causatif du premier. Les quelques paires que nous avons présentées étaient gis 'voir' – won 'montrer' et jënd 'acheter' – jaay 'vendre'. Nous avons vu également la paire lekk 'manger' et leel 'faire manger', mais à la différence des autres paires, cette dernière ne présente pas d'augmentation de valence.

Dans ces paires, le fait que le sujet du premier lexème verbal soit un agent implique que, dans leur correspondant causatif, il y ait deux agents. Ces contreparties causatives permettent donc d'exprimer une causation sociative et peuvent soit être rattachées à la causation directe, comme les causatives lexicales dérivées en –e et en al, soit être rattachées à l'expression de la causation indirecte.

Dans l'exemple 316, on peut voir que la forme causative de lekkleel– permet aussi bien d'exprimer une causation indirecte (316a.) qu'une causation sociative (316b.). Le sémantisme sociatif de ce type de causatives lexicales est de type assistif.

‘315 Lekkul yàpp wi. (Fal)
manger-Nég3S viande déf.
Il n'a pas mangé la viande.’ ‘316 a. Miskin yu bare la yélimaan jooju daan leel. (Fal)
pauvre jonc. ê.nombreux EC3S imam dém. HAB.PASSÉ faire.manger
Cet imam fait manger de nombreux pauvres.

b. Leel na xale bi
faire.manger P3S enfant déf.
J'ai fait manger l'enfant.’

L'extension de ces causatives lexicales vers la causation indirecte s'explique essentiellement par la différence des prédicats qui entrent en jeu. Pour les autres causatives lexicales, abordées jusqu'à présent, les prédicats étaient intransitifs [-dynamiques] ou [±dynamiques], tandis que les prédicats du dernier type de causatives lexicales que nous venons de présenter sont des prédicats typiquement transitifs actifs. Ils se rapprochent donc des constructions causatives et conceptualisent en fait, sous une seule forme verbale, deux événements. Ils tendent donc à se rapprocher de la causation indirecte.