B – 3. Conclusion

La dérivation applicative en wolof peut donc être effectuée à l'aide de deux marqueurs qui opèrent sur des rôles sémantiques différents qui peuvent être présentés comme appartenant à des groupes de participants distincts. Cette répartition se fait d'une part entre participant humain (comitatif, récepteur et bénéficiaire) vs. non humain (instrument, locatif, manière) et d'autre part entre les éléments que l'on trouve en aval de l'action pour –al et en amont pour –e. Ce qui explique pourquoi les sources humaines sont introduites par –e, tandis que cette dérivation ne fonctionne pas pour les locatifs de destination. La dérivation est, selon les rôles sémantiques, canonique ou non pour les deux marqueurs. La dérivation non canonique a dans cette langue principalement une fonction pragmatique et syntaxique, c'est pourquoi on la rencontre toujours dans les constructions à l'Emphatique du complément et dans la relativisation. Cette particularité des marqueurs applicatifs n'est pas incompatible avec la notion de voix, si l'on considère les caractéristiques des objets sur le plan pragmatique. Dans certaines théories et notamment chez Givón (2001), l'objet véhicule par défaut une valeur de focus. Dans les constructions applicatives non canoniques en –e, les arguments affectés retiennent des objets uniquement cette caractéristique pragmatique. Autrement dit, la voix applicative permet aux termes périphériques de prendre l'ensemble des caractéristiques objectales (syntaxiques et pragmatiques) ou seulement des caractéristiques pragmatiques de focus. Cette fonction pragmatique ne peut être, sans perdre de cohérence, décrite comme une construction emphatisante sans modification de la valence syntaxique. Même si les modifications qu'elle entraîne sont très éloignées d'une construction canonique, elle modifie la valence sémantique. L'argument périphérique est un terme obligatoire de la structure et entre dans des constructions qui sont généralement restreintes à l'objet (relativisation et emphatisation).

Pour revenir sur l'intégration à la valence sémantique, rappelons que le comportement du morphème de dérivation applicatif est différent selon que l'argument appartient à la valence étendue du prédicat ou que l'argument est nécessaire d'un point de vue discursif sans pour autant appartenir à la valence étendue (cf. cas de jël vs. jënd). Dans certains cas, nous avons même pu voir que la présence du rôle sémantique dans la valence sémantique étendue d'un prédicat fait que le verbe n'est pas compatible avec la dérivation (des 'rester quelque part').

Nous sommes consciente que les différentes constructions applicatives du wolof ne présentent pas toujours une grande homogénéité. Mais nous pensons que cette différence entre les constructions, en plus des différences de traitement liées à la grammaticalisation à l'irrégularité de certains verbes etc., peut être réduite grâce à une meilleure exploration de ce type de voix dans l'ensemble des langues du monde. Le cas du wolof n'est pas un cas isolé : l'exemple de différentes langues bantoues, comme par exemple le tswana (Creissels, CP) montre qu'à partir du moment où on entreprend une observation détaillée de l'applicatif, on découvre que ses emplois débordent toujours très largement l'applicatif canonique.