A – Le syncrétisme causatif/applicatif

Nous venons de voir que les suffixes –al et –e sont tous deux à priori susceptibles d'illustrer un syncrétisme causatif/applicatif, puisqu'ils peuvent fonctionner soit comme marqueur causatif, soit comme marqueur applicatif. L'analyse d'un tel phénomène en wolof est rendu difficile par le peu de connaissances, à la fois de l'histoire de la langue et de la famille atlantique. Néanmoins, une telle question ne peut être évitée, d'une part par le fait que les coïncidences de formes à l'intérieur de la langue wolof entre les deux morphèmes de l'applicatif et du causatif peuvent difficilement toutes deux provenir du hasard, d'autre part par le fait que ces coïncidences se retrouvent dans beaucoup d'autres langues.

Dans cette partie, nous revenons sur les deux formes de dérivation –al et –e rencontrées une première fois lorsque nous avons abordé la voix causative et une seconde fois, lorsque nous avons présenté la voix applicative.

Dans le chapitre 4, nous avons montré que la voix causative en wolof peut être marquée par 5 suffixes différents qui se partagent d'une façon très fine des sémantismes particuliers. Parmi ces causatives, deux sont construites à l'aide des suffixes –al et –e qui ont les mêmes formes que les deux marqueurs applicatifs que l'on peut trouver dans la langue. Les caractéristiques de ces marqueurs causatifs sont différentes des autres suffixes causatifs, dans le sens où on ne les trouve jamais avec les mêmes verbes. Ils partagent le même sémantisme (direct et sociatif d'action jointe) et se répartissent la formation de causatifs sur des bases monovalentes. La différence entre ces deux marqueurs causatifs est que le suffixe –al est un suffixe de dérivation productif, tandis que le suffixe –e est lexicalisé.

Par ailleurs, nous avons vu dans le chapitre 5, qu'il existe deux types d'applicatives en wolof construites à l'aide des mêmes formes –al et –e. Ces deux morphèmes, lorsqu'ils ont une fonction applicative, opèrent sur plusieurs types d'obliques et se répartissent différents rôles sémantiques. Le marqueur applicatif –al modifie la fonction syntaxique d'un comitatif ou d'un récepteur en objet direct ou introduit des bénéficiaires en position objet. Le marqueur –e modifie, selon différents niveaux et de manières différentes selon le rôle sémantique, le statut des obliques de type instrumental, manière et locatif.

Le but de ce chapitre est de voir si le fait que les deux marqueurs –al et –e fonctionnent comme marqueur causatif et comme marqueur applicatif est dû à un simple phénomène d'homonymie ou si on peut rattacher cette double fonction au phénomène de “syncrétisme causatif/applicatif”décrit par Shibatani et Pardeshi (2001). Dans un premier temps, nous reprenons les caractéristiques des formes –al et –e dans les constructions causatives et les constructions applicatives. Ensuite, nous montrons que ce phénomène est très répandu dans les langues du monde. Puis nous apportons différentes perspectives d'analyse, toutes basées sur l'hypothèse que le sémantisme de ces constructions est proche. Cette proximité est telle que l'on trouve ce type de glissement sémantique sous d'autres formes que celui du marquage des voix. Enfin, nous présentons l'analyse du “syncrétisme causatif/applicatif” proposée par Shibatani et Pardeshi (2001) et mentionnons les différents problèmes qu'elle soulève, au moins pour les données concernant le wolof.