A – 1.4. Problématique

Face à ces données, la question est de savoir s'il existe une relation entre les différentes fonctions que partage chacune de ces formes. Et si oui, quel type de relation peut-on établir pour expliquer leur double fonction. Deux solutions sont possibles : soit il s'agit d'une homonymie, soit une fonction de ces suffixes s'est étendue vers une autre.

Une première étape a été de voir s'il est possible de reconstruire les formes de dérivation applicative et causative par une même source diachronique. D'après les informations mises à notre disposition, le suffixe –al a, selon la fonction qu'il véhicule, deux sources diachroniques différentes : *–En/el pour le causatif et *an/–aL pour l'applicatif (reconstruction valable pour la branche atlantique Nord, Pozniakov, CP).

peul sereer wolof buy wey
an/aL bénéfactif-applicatif an an al ar al H
En/el Causatif n in al en el H

Pour ce suffixe, le syncrétisme causatif/applicatif relève donc selon toute apparence d'un phénomène synchronique d'homonymie. Ceci explique sans doute le fait que l'on puisse, avec certains verbes, trouver un double marquage –al qui ne relève pas d'un cas de constructions causatives itératives comme en turc ou en quechua (Kulikov, 1993 et Comrie, 1985). Ces cas de double marquage en –al sont assez rares, nous n'en avons pas trouvé dans notre corpus. Cependant, ils sont attestés par différents auteurs. Ainsi, Church (1981) donne l'exemple d'un cumul des trois formes –al du wolof : impératif, causatif et applicatif.

‘423 Dugg-al-al-al Abdu saakoom ca kër ga (Church)
entrer-CAUS-APPL-imp. Abdou sac-poss3S loc. maison déf.
Fais entrer pour Abdou son sac dans la maison.’

Diouf donne également l'exemple d'un cumul de dérivations causative et applicative en –al avec le verbe dugg 'entrer'.

‘424 Dangay dugalal suma jabar woto bi
EVerb2S-inacc. entrer-al-al poss1S épouse voiture déf.
Tu rentres la voiture pour mon épouse.’ ‘425 Di naa la toogal-al nenne bi.
'I will seat the child for you.'’

Ka (1981 : 25) indique que les suffixes –al applicatif et causatif peuvent se cumuler dans l'ordre causatif + applicatif et cite le verbe baxalal 'faire bouillir pour quelqu'un', sans pour autant donner d'exemple. Après vérification auprès de nos informateurs, nous pouvons ajouter que ce cumul fonctionne sur très peu de verbes de façon spontanée et semble nécessiter un contexte particulier.

Pour le suffixe –e le problème reste entier. Au niveau des informations diachroniques, le marqueur applicatif est regroupé avec les autres marqueurs modifiant l'instrumental dans d'autres langues atlantiques, mais aucun réflexe proto-atlantique Nord n'est fourni.

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rar instrumental locatif r or xæl/æl H
um? instrumental ? Vm
instrument, objet e ~ te

La seconde fonction objet indiquée pour les formes e ~ te du wolof est décrite dans le chapitre 8. Elle est, d'après nous, à dissocier, au moins en synchronie, de l'applicatif –e puisqu'elle a un effet de réduction de la valence.

Le marqueur causatif est, lui, présenté comme un verbalisant. On peut remarquer qu'il est présenté avec la même variante –te, bien que synchroniquement cette variante n'existe plus que pour le marqueur intransitivant (cf. chapitre 8).

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e-te verbalisant e ~ te
i(n) verbalisant i iN HB

Ainsi, les données diachroniques ne permettent pas de trancher au moins dans le cas de la dérivation –e. De ce fait, dans la section suivante, nous fournissons des exemples issus d'autres langues qui présentent également un syncrétisme causatif/applicatif. Afin de montrer, d'une part que cette double fonction associée à une même forme n'est pas un phénomène isolé, mais se retrouve dans de nombreuses langues plus ou moins éloignées et de tenter, d'autre part, de comprendre comment et pourquoi des fonctions différentes d'un point de vue syntaxique semblent être liées.