Les langues qui montrent un syncrétisme causatif/applicatif sont aussi bien des langues amérindiennes, australiennes que des langues d'Océanie.
En ce qui concerne les langues amérindiennes, nous allons présenter deux langues, le misantla totonac et le cora. Les données sur ces langues proviennent de la rencontre annuelle sur les langues amérindiennes organisée par le SIILA-American Anthropological Association (2000).
Dans ces langues, les fonctions applicatives sont de type bénéfactif (428 et 434), datif (427b. et 433) et comitatif (431 et 432b.), et avec la même forme, il est possible de construire des causatives.
En misantla totonac, il existe deux morphèmes causatifs, maa– et maq(a)–, ce dernier s'applique sur des bases intransitives et est moins productif que maa–. Lorsqu'il s'applique sur des bases transitives, il a une fonction applicative.
En cora, le suffixe –te / e présente également un syncrétisme causatif/applicatif. La dérivation causative s'effectue sur des bases statives et non-agentives, tandis que la dérivation applicative s'opère sur des verbes de mouvement (deictic motion verbs), des verbes de communication et a une valeur bénéfactive sur les verbes transitifs en général.
Pour les langues australiennes, nous donnons l'exemple du yidiny que l'on retrouve également dans Shibatani et Pardeshi (2001). Dixon (1997) identifie six sens associés au suffixe dérivationnel –nga-l. Ces différentes significations incluent le causatif (435d.), le comitatif (435b.) et l'instrumental.
Enfin, pour les langues d'Océanie, nous reprenons des exemples du fidjien tiré de Dixon (1988). Dans cette langue, toutes les bases verbales sont intransitives, les structures transitives s'obtiennent toutes par dérivation. Ainsi, dans les constructions applicatives le rôle de l'objet ajouté est PATIENT et la même forme permet d'obtenir des constructions causatives avec les bases intransitives non dynamiques. Le suffixe qui permet ces modifications présente plusieurs allomorphes en distribution complémentaire ; notons cependant que la distribution des allomorphes n'a rien à voir avec la distinction causatif - applicatif.
Nous reprenons également des données tirées de Payne (1999) qui donne l'exemple du seko padang, langue austronésienne de l'ouest. Dans cette langue, le suffixe –ing a une fonction applicative lorsqu'il est utilisé avec des verbes transitifs et une fonction causative avec des verbes intransitifs.
À travers ces différents exemples, nous avons montré que des langues génétiquement éloignées possèdent des marqueurs qui autorisent soit des dérivations causatives, soit des dérivations applicatives. Le plus souvent, ces exemples ont été trouvés dans des ouvrages descriptifs dans lesquels ces répartitions de fonctions différentes sont décrites, mais non étudiées. Dans très peu de cas, le phénomène de syncrétisme causatif/applicatif est identifié ou du moins nommé.
Dans ces différents exemples, le continent africain a été laissé de côté. Il est possible, cependant, de trouver dans la littérature des descriptions de certaines particularités des causatives, au moins dans les langues bantoues qui vont dans le sens de ce syncrétisme. Nous présentons le cas du kinyarwanda décrit par différents auteurs comme étant un cas de syncrétisme (Payne 1999, Palmer 1994). Dans cette langue, il existe un morphème –iish / –eesh entraînant des modifications qui, d'après les caractéristiques sémantiques des arguments, peuvent être décrites comme relevant de la voix causative (445b.) ou de la voix applicative instrumentale (445d.).
Les différences entre cette langue et celles que nous avons présentées jusqu'à présent proviennent principalement de l'absence de restriction entre les fonctions causative et applicative de la forme –iish et les bases verbales auxquelles ce marqueur s'applique. En effet, dans les différentes langues que nous avons présentées, toutes les descriptions concernant les particularités du marqueur indiquent une distribution complémentaire des fonctions applicatives et causatives selon des caractéristiques propres aux verbes. Ainsi, la tendance que montrent ces langues peut être décrite de la façon suivante : les constructions applicatives s'obtiennent sur des bases verbales dynamiques (verbes intransitifs ou transitifs), tandis qu'avec la même forme de dérivation, les constructions obtenues sur des bases verbales non dynamiques sont causatives.
Ce type de restriction n'est pas effectif en kinyarwanda, les interprétations applicative ou causative ne proviennent pas du verbe support de la dérivation, mais sont dues aux traits sémantiques du 'causataire' ou de l'objet. Dans cette langue, l'interprétation applicative (instrumentale) provient du caractère inanimé de l'argument. C'est pourquoi, nous dissocions les effets de –iish de ceux des autres morphèmes de dérivation déjà présentés.
Nous ne prétendons pas que toutes les langues bantoues fonctionnent sur le même modèle que celui du kinyarwanda, ni que le syncrétisme du wolof est un phénomène isolé dans les langues africaines. Un cas possible de syncrétisme en kru, langue africaine de la famille Niger-Congo du groupe kwa, nous a d'ailleurs été signalé (Hyman, CP). Cependant, face à ces données et aux différences qu'elles montrent par rapport à celles que nous avons dégagées pour les autres langues, il n'est pas possible, à notre avis, d'identifier les modifications entraînées par –iish comme étant un cas de syncrétisme. Nous avons affaire dans ce cas à une extension de l'utilisation du marqueur causatif pouvant dans cette langue exprimer une causation dans laquelle le causataire est un inanimé.
D'après ces considérations, plusieurs remarques peuvent être faites concernant le syncrétisme causatif/applicatif. Sur la base des langues décrites, exception faite du kinyarwanda, on peut dire que le syncrétisme est un mécanisme de voix particulier qui suit dans des langues différentes des restrictions similaires. Dans ce cas, des analyses plus approfondies doivent être envisagées afin de tirer au clair ces discordances entre les différents comportements mis en évidence entre le kinyarwanda et les autres langues décrites.
Des pistes de recherche sont données, par exemple, par l'analyse du syncrétisme dans les langues ergatives effectuée par Austin (à paraître). Après avoir dressé les différents comportements des langues ergatives, Austin pose que les langues peuvent être dissociées selon le comportement de l'affixe qui fonctionne soit comme causatif soit comme applicatif.
Une des conclusions qu'il tire de cet état des lieux et que seules les langues montrant un 'verb split' 56 sont les langues qui présentent un syncrétisme causatif/applicatif. Certaines de ces langues ont un syncrétisme causatif/applicatif uniquement sur les bases intransitives.
language | verb split | on tr. verb | promotion | ditransitive | anti-passive |
Ngiyampaa Wakka/goreng Wirri/Birri |
no | no | |||
Diary Rembarrnga |
no | yes | No | yes | no |
Arrernte Central Maric Djabugay Wik-Mungkan Yirr-Yoront |
yes | no | no | ||
Arabana-Wangkangurru | yes | yes | No | no | no |
Yidiny Dyirbal Warrgamay |
yes | yes | Yes | no | yes |
Pitta-Pitta Kalkatungu |
yes | yes | Yes | yes | yes |
D'autres ont un syncrétisme causatif/applicatif important entre verbes intransitifs et transitifs et un syncrétisme entre certains verbes intransitifs. Dans ce cas, les verbes intransitifs qui présentent une dérivation applicative sont plus rares que ceux qui, avec la même marque, forment leur contrepartie causative (en arabana-wangkangurru, 5 verbes ont une dérivation de type applicatif et en mperntwe-arrernte, seulement 2 verbes). Ces langues ergatives font l'objet d'autres investigations de la part d'Austin, pour lesquelles il met en avant des caractéristiques susceptibles d'être corrélées à ce phénomène.
Dans le chapitre 2, nous avons indiqué que le wolof a des prédicats trivalents et nous verrons dans le chapitre 8, qu'il est possible d'identifier une dérivation antipassive en wolof, même si cette langue est une langue accusative. Par rapport au type de syncrétisme que montre le wolof, une dissociation simple entre intransitif/transitif vaut pour le suffixe –e, puisque les quelques verbes qui forment leur contrepartie causative avec cette dérivation sont des verbes monovalents, la dérivation applicative –e ne présentant pas de restriction particulière, mis à part pour les locatifs avec certains verbes de mouvement. Pour la dérivation en –al, la répartition de la dérivation causative et applicative est plus facile à établir, si l'on inclut les verbes inchoatifs qui ont la particularité de recevoir les deux types de dérivation comme on peut le voir dans le tableau ci-dessous.
causative | applicative | ||||||||
monovalent |
|
||||||||
trivalent | dynamique | |
Avec les langues ergatives, nous clôturons la section de présentation typologique des langues dans lesquelles un syncrétisme causatif/applicatif peut être constaté. Dans la section suivante, nous apportons une série d'indices qui appuient notre hypothèse selon laquelle le syncrétisme causatif/applicatif provient de particularités sémantiques communes.
"In the following sections the typological data on this intransivity split will be presented for relevant Australian langages.[…] with intransitive verb stems it derives a transitive verb and may act as a causative, in which the subject of the intransitive verb becomes the object of the transitive verb…or it may have the function termed comitative by Dixon (1972:96), i.e. the indirect object of the intransitive verb becomes the direct object of the derived transitive verb while the subject of the intransitive verb is subject of the derived transitive verb."(Austin, à paraître).