A – 3.5. Conclusion

Lorsque nous avons commencé ce chapitre, notre but était de voir si la similitude de forme des suffixes applicatifs et de certains marqueurs causatifs pouvait être liée au phénomène de syncrétisme causatif/applicatif. Nous avons alors apporté différents éléments pour tenter de comprendre le pourquoi et le comment d'un tel phénomène. Au moment de conclure, nous nous rendons bien compte que certaines réponses demandent d'autres investigations. Les pistes apportées par l'analyse d'Austin (à paraître) demandent également à être explorées dans les langues accusatives, afin de voir si le syncrétisme est également possible dans les langues accusatives qui autorisent les constructions ditransitives et/ou des constructions antipassives et d'observer dans ces langues celles qui montrent un split verb 62 et voir si elles se dissocient de celles qui montrent également un syncrétisme intransitif/transitif.

Toutefois, nous pouvons apporter les conclusions suivantes. Nous pensons que le syncrétisme s'explique par des caractéristiques sémantiques communes aux deux constructions. Nous avons apporté différents indices d'explication basés sur des concordances sémantiques entre les constructions causatives et les constructions applicatives. Cette zone de flou s'observe aussi bien à travers des processus de grammaticalisation que dans les différentes paraphrases, métaphores et découpage des prédicats et des constructions.

Ceci nous a conduit à supposer que de plus amples explications sont à rechercher du côté des indéterminations conceptuelles qui tournent autour des rôles sémantiques : instrument, datif et comitatif. Indétermination que l'on peut percevoir pour les comitatifs, entre autres, dans les ambiguïtés qui ont conduit à la grammaticalisation de marqueurs comitatifs dans les langues rama et soso. Pour le cas de l'instrumental et du datif, cette indétermination est visible dans les différentes constructions dans lesquelles ces rôles sémantiques ou leurs fonctions grammaticales peuvent entrer et indiquer une affinité particulière entre les inanimés et le caractère ±agentif du participant.

Nous voudrions à ce propos revenir sur les particularités du kinyarwanda. Nous avons indiqué précédemment que le cas de cette langue ne peut être considéré comme un phénomène lié au syncrétisme, puisqu'il n'y a pas de partage des dérivations causatives et applicatives selon les bases verbales auxquelles le marqueur s'applique. La seule différence entre ces propositions porte sur le caractère animé ou non du causataire (ou du premier objet de chaque proposition).

‘(43) a. Umugabo a-ra-andik- iis ‹-a umugabo íbárúwa
man 3SG-PRES-write-CAUS-ASP man letter
The man is making the man write a letter.”

b. Umugabo a-ra-andik- iis ‹-a íkárámu íbárúwa
man 3SG-PRES-write-CAUS-ASP pen letter
The man is writing a letter with a pen.”’

Or, dans la plupart des langues lorsqu'un instrument est présenté comme un participant important d'un événement, dans le champ des voix, c'est la dérivation applicative qui utilisée PARCE que la plupart des langues n'autorise pas de constructions causatives avec un causataire inanimé (?J'ai fait écrire la lettre par le stylo). Les langues qui développent un syncrétisme sont des langues qui font une distinction entre les causataires inanimés (véritables instruments) et les causataires animés. Toutefois, cette distinction se voit par le marquage verbal, puisque l'instrument (causataire inanimé) est introduit à l'aide du marqueur causatif des verbes non dynamiques, tandis que le causataire animé est introduit à l'aide d'autres marqueurs causatifs. Cette supposition reste à être confirmée pour les différentes langues que nous avons présentées. En ce qui concerne le wolof, synchroniquement il existe différents marqueurs causatifs et nombre d'entre eux permettent de construire des causatives à deux agents (–le, –loo et –lu où le second agent est sous-entendu et les périphrastiques tax, def et bàyyi). On peut donc supposer qu'il existe effectivement un syncrétisme dans cette langue pour la dérivation –e. Le marqueur causatif –e donne aux instruments inanimés introduits sur les verbes dynamiques un degré d'agentivité, ou du moins un rôle plus central dans la réalisation de l'événement que ce que sa fonction d'oblique laisse ordinairement supposer.

Le suffixe–al a été écarté sur des bases diachroniques. Cependant, nous voulons revenir sur le cas du syncrétisme pour ce suffixe. Si l'hypothèse d'un syncrétisme peut être écartée pour –al sur la base des données diachroniques, les autres formes de dérivations causatives semblent être le résultat de la grammaticalisation du cumul de différents suffixes dont la base serait le suffixe –al applicatif. Autrement dit, les formes des marqueurs causatifs de cette langue montrent que, à l'inverse, un morphème d'applicatif a pu participer à la genèse de morphèmes causatifs.

Notes
62.

"In the following sections the typological data on this intransivity split will be presented for relevant Australian langages.[…] with intransitive verb stems it derives a transitive verb and may act as a causative, in which the subject of the intransitive verb becomes the object of the transitive verb…or it may have the function termed comitative by Dixon (1972:96), i.e. the indirect object of the intransitive verb becomes the direct object of the derived transitive verb while the subject of the intransitive verb is subject of the derived transitive verb."(Austin, à paraître).