A – 1.2. Le suffixe –oo

Le suffixe –oo est présenté dans les descriptions du wolof comme un marqueur d'union. D'après la figure 9, cette dérivation indique que les deux participants agentifs agissent de concert dans une même action. L'analyse des propositions dérivées en –oo montre que ce suffixe présente dans certaines constructions la même fonction que la dérivation –andoo.

Dans l'exemple suivant, les participants sujets réalisent chacun une action identique, cet ensemble d'actions est conceptualisé comme un seul événement. À la différence de la dérivation –andoo, la dérivation –oo n'apporte aucune indication de simultanéité, ou du moins l'utilisation de la dérivation –oo n'est pas restreinte aux actions simultanées.

‘487 Jigéen ñu màggat ñi dinañuy diwoo taagut, (Fal)
femme jonc. ê.vieux déf.P FUT3P-inacc. enduire-oo ocre.rouge

bu seen bët di bas.
temp. poss3P œil inacc. couler
Les vieilles femmes s'enduisent d'ocre rouge quand les yeux coulent.’

La dérivation en –oo peut donc indiquer que plusieurs participants réalisent des actions identiques. Toutefois, elle ne permet ni d'indiquer que plusieurs objets subissent une même action, ni de donner une valeur de simultanéité.

L'examen des propositions en –oo montre que cette dérivation a, en fait, le plus souvent une fonction réciproque. Nous reprenons ci-dessous la définition de Lichtenberk (1985) pour la notion de réciproque et les caractéristiques sémantiques et syntaxiques définies par Liu (2000) que doit présenter une situation réciproque.

‘“Reciprocals are markers referring to situations where there are two participants, A and B, and where the relation in which A stands to B is the same as that in which B stands to A (e.g. A and B hit each other)” Lichtenberk (1985 : 21)

“Semantic features of reciprocal relation
a. Regarding the participants/parties
- two or more animate participants/parties involved ;
- play a dual role: both serve as activity-initiator and activity-receiver;
- mutually and equally interacting

b. Regarding the activity
- normally involves a semantically two-argument verb: the activity involved may be carried to the other party.”(Liu, 2000 : 127)’

Dans les propositions ci-dessous, les verbes sont bivalents. Le sujet des verbes dérivés représente plusieurs entités présentant des caractéristiques sémantiques identiques et la relation que la dérivation établit entre ces participants est une relation réciproque, les deux participants réalisent l'action l'un sur l'autre, ils ont donc chacun un double rôle sémantique agent/patient. Autrement dit, dans ces exemples, les propositions en –oo, exhibent les caractéristiques généralement décrites pour les situations réciproques.

‘488 a. Nijaayam a ko lëng génne ko géew bi. (Fal)
oncle-poss3S ESuj 3S passer.le.bras.sur.l'épaule sortir-e 3S arène déf.
Son oncle l'a sorti de l'arène en lui passant les bras sur les épaules.

b. Ñaari xarit yaa ñu lëngoo di doxantu. (Fal)
deux-conn. ami déf.ESuj N3P tenir.par.l'épaule-oo inacc. marcher-antu
Les deux amis se promènent en se tenant par les épaules.’ ‘489 a. dama ko jënd ag wurus. (Contes)
EVerb1S 3S acheter avec or
je l'ai acheté avec de l'or.

b. dafa mel na dañu ci rax ndox. (Fal)
EVerb3S sembler compl. EVerb3P loc. mélanger eau
on dirait qu'on y a ajouté de l'eau.

c. ñu jëndoo, raxoo, sunu giir doon genn, (Contes)
N3P acheter-oo mélanger-oo poss1P lignée.paternelle PASSÉ un
nous (nous) achèterons et (nous nous) mélangerons, nos lignées ne feront plus qu'une,’ ‘490 a. Kenn foogul woon ne dina wor xaritam. (Fal)
personne penser-Nég3S PASSÉ compl. FUT3S trahir ami-poss3S
Personne ne pensait qu'il trahirait son ami.

b. Seen wax ji woroo nañu. (Fal)
poss2P parole déf. trahir-oo P3P
Vos propos ne s'accordent pas.’ ‘491 a. Sédd naa ko ci xaalis bi. (Fal)
partager P1S 3S loc. argent déf.
Je lui ai donné une part de l'argent en question.

b. na nuy séddoo ñetti màngo yi nga nu may ?
man. N1P-inacc. faire.une.part.-oo trois-conn. mangue rel. N2S 1P donner
comment allons-nous nous partager les trois mangues que tu nous as données ? (Fal)’

En conséquence, la dérivation –oo peut être décrite comme véhiculant deux fonctions. D'une part, elle partage avec la dérivation –andoo, le marquage des situations où plusieurs entités réalisent des actions identiques en les conceptualisant comme un seul événement, la différence entre ces deux marqueurs est la simultanéité qui n'est pas inhérente pour la dérivation en –oo. D'autre part, cette dérivation peut marquer la réciprocité.

Dans la littérature typologique, lorsqu'un même morphème marque des actions collectives et des actions réciproques, la répartition de ces fonctions s'effectue selon différents critères. Le suffixe a, le plus souvent, une fonction réciproque avec les verbes bivalents et une fonction d'action collective avec les verbes monovalents. Cependant, cette répartition selon la valence doit être nuancée, suivant les caractéristiques sémantiques des entités impliquées dans l'événement, même lorsque le prédicat est bivalent l'interprétation n'est pas forcément réciproque, le contexte joue un rôle important.

Le cas de la dérivation –oo du wolof semble plus complexe. Dans l'exemple 492, toutes les caractéristiques définies pour une situation réciproque sont remplies. Toutefois, la valeur de vérité générale de la proposition tend à l'interpréter comme une situation d'action collective (chacune s'enduit d'ocre rouge) et non une interprétation réciproque (elles s'enduisent l'une l'autre d'ocre rouge).

‘492 Jigéen ñu màggat ñi dinañuy diwoo taagut, (Fal)
femme jonc. ê.vieux déf.P FUT3P-inacc. enduire-oo ocre.rouge

bu seen bët di bas.
temp. poss3P œil inacc. couler
Les vieilles femmes s'enduisent d'ocre rouge quand les yeux coulent.’

Ensuite, cette fonction de marqueur d'action collective semble plus restreinte. L'examen de nos données a, en fait, permis de déceler pour la fonction d'action collective uniquement l'exemple 492. D'autres propositions où le prédicat dérivé par –oo présente un sémantisme proche d'une action collective ont été trouvées, cependant l'étude de la terminaison verbale peut être ramenée, dans ces propositions, à un cumul de dérivations. L'exemple 493 illustre le cas du cumul –e (causatif) –u (moyen).

‘493 Taalibeem yaa ngi tasaaroo ci biir réew mi. (Fal)
disciple-poss3S déf.P-Prés. Prés. ê.éparpillé-e-u loc. dans pays déf.
Ses disciples sont dispersés dans le pays.’

En d'autres termes, la fonction principale de la dérivation –oo est de marquer la réciprocité. La fonction de marqueur de situation collective ne peut être clairement établie que par le contexte, il semble également que cette dérivation ne soit compatible qu'avec des verbes bivalents plus ou moins conforme aux caractéristiques décrites par Liu (2000). Nous reviendrons sur le cas de la dérivation –oo dans une section ultérieure. Nous passons pour l'instant à la description des fonctions que l'on peut attribuer au marqueur –e.