A – 1.3. Le suffixe –e

Cette dérivation est souvent présentée comme non productive, elle serait lexicalisée sur certains prédicats. D'après la figure 9, elle marque des situations réciproques. Les données recueillies pour cette forme atteste la fonction réciproque pour ce marqueur.

‘494 a. ñu daldi wàlbatiku foofa di fexee xeex ag ndaw sa.
N3P aspect retourner-ku loc. inacc. chercher. combattre avec jeune.fille déf.
par.tous.les.moyens-d.v.
Ils revinrent sur leurs pas et cherchèrent par tous les moyens à combattre la jeune fille. (Contes)

b. Ñu ngi doon xeexe ci koñu kër ñoom Paate. (Fal)
Prés3P Prés. PASSÉ battre-e loc. rue-conn. maison 3P pathé
Ils se battaient dans la rue de chez les Pathé.’ ‘495 a. Bi ñu tàmbalee gas, gasuñu sax lu mót meetar, daj dàttu yiir
rencontrer tronc-conn. yiir
[Quand ils commencèrent à creuser ils ne firent pas plus d'un mètre, ils] rencontrèrent un gros tronc de yiir, (Contes)

b. mu dow wuuti ko, dajeeg Buur di agsi. (Contes)
N3S courir chercher- 3S rencontrer-e-avec roi inacc. arriver
il courut le chercher, rencontra le roi qui arrivait.’ ‘496 a. Tàggu naa wasin-wees wi ba mu jox ma yeeli maam yi.
faire.ses.adieux P1S nouvelle.accouchée. déf.
J'ai dit au revoir à la nouvelle accouchée [et elle m'a donné le cadeau qui revient aux grand-parents.] (Fal)

b. Bëggul tàggoo ak tukkalam gi. (Fal)
vouloir-Nég3S faire.ses.adieux-e avec dromadaire.étalon-poss3S déf.
Il ne veut pas se séparer de son dromadaire étalon.’

Les verbes pour lesquels cette dérivation offre une interprétation réciproque appartiennent à des classes lexicales particulières de heurt, de rencontre et d'actions sociales…

gis voir gise se rencontrer
daj rencontrer, trouver daje se rencontrer
tas coincer, presser contre tase se rencontrer
dig promettre dige se promettre mutuellement
nuyu saluer nuyoo se saluer
nangu acquiescer nangoo se mettre d'accord
xeex battre xeexe se battre
tongu avoir de la rancune tongoo être en désaccord
laal toucher laale se toucher, s'affronter
tàggu faire ses adieux tàggoo se séparer de

En fait, ces verbes doivent être considérés, en wolof, comme la catégorie des événements naturellement réciproques (Kemmer, 1993). Les verbes qui dénotent ces événements incluent, toutes langues confondues, les actions d'antagonismes (fight, quarrel, wrestle), les actions d'affection (kiss, embrace, make love), les actions de rencontre (meet, greet, shake hands), les actions dénotant un contact physique non intentionnel (bump into, collide), les actions de convergence physique ou de proximité (touch, join, unite, be close together), les actes d'échange (trade), de partage ou de division (share, split hunting catch), d'accord/désaccord, d'interlocution (converse, argue, gossip, correspond [via letter], et les prédicats de similitude/dissimilitude.

De ce fait, nous estimons que l'affirmation de non productivité et de lexicalisation de cette dérivation doit être revue. La faible fréquence d'utilisation de cette forme provient de différents critères. Le premier est que cette dérivation est restreinte aux prédicats qui dénotent des événements naturellement réciproques. D'après Kemmer ces événéments sont généralement assez nombreux à l'intérieur d'une langue. De ce fait, une exploration plus large des données du wolof doit être envisagée.

‘“[…] investigation of this lexical domain in two-form reciprocal langages will yield a fair number of verbs of this type in each language.”(Kemmer, 1993 : 104)’

Par contre, cette spécialisation de la dérivation –e aux événements naturellement réciproques est, en partie, confirmée par l'existence d'un autre marqueur également désigné comme marqueur de situations réciproques, le suffixe –ante. Dans la section suivante, nous montrons que cette dernière dérivation exprime également la réciprocité et que les données du wolof et les informations typologiques sur le marquage de la réciprocité permettent d'expliquer l'existence dans cette langue de deux marqueurs spécialisés dans une même fonction réciproque.