B – 2. Typologie des actions collectives

Depuis une trentaine d'années, le champ de recherche pour la fonction réciproque s'est élargie. Lichtenberk (1994, 1999) a montré qu'une distinction entre situation réciproque, marqueur réciproque et construction réciproque doit être effectuée. Les langues ne marquent pas forcément les situations réciproques (They met at five o'clock) et les marqueurs réciproques ne sont pas toujours restreints aux situations réciproques. En typologie, la proximité d'événements réciproques et collectifs n'est pas surprenante. En effet, dans beaucoup de langues, le marqueur réciproque encode des situations où plusieurs participants jouent une paire de rôles identiques, mais pas l'un par à l'autre, ce qui d'une certaine façon constitue un type de situation intermédiaire entre une situation réciproque stricte et une situation collective.

502 Shitai-ga kasanari-a-tte iru.
corpse-SU pile.on.top-RECM-PROG PRES
The corpses are piled on top of one another.

D'une façon générale, les situations collectives et réciproques mettent en jeu plus d'un participant impliqué dans une même action et chacun de ces participants joue deux rôles dans l'événement. Ces deux rôles sont agent et patient dans les situations réciproques et agent et accompagnateur dans les situations collectives. De la même façon que les situations réciproques, les actions collectives sont conceptualisées comme un seul événement.

L'expression des situations collectives par un outil exprimant par ailleurs la réciprocité peut être trouvée uniquement lorsque le marqueur est un affixe. Cette coïncidence n'est pas toujours relevée, mais on la retrouve chez de nombreux auteurs. Maslova (à paraître) parle uniquement d'affixe polyadique et Kemmer (1993 : 255 note 59) indique que “This polysemy always seems to arise in connection with verbal reciprocal markers, not nominal ones of the 'each other' type”, ce qui est le cas de tous les morphèmes de co-participation du wolof.

Dans les différentes langues qui montrent un marqueur identique dans les actions collectives et les actions réciproques, il est toujours indiqué que la fonction réciproque n'est pas la fonction première à lier à ce marqueur (Lichtenberk 2000, Kemmer 1993). Cette fonction est liée comme pour les actions chaînées au sens du lexème verbal et aux connaissances du monde.

Autrement dit, certains morphèmes qui ont une fonction réfléchie ou collective dans certaines langues peuvent dans certains contextes avoir une fonction réciproque. Dans la double fonction collective/réciproque, la réciprocité est restreinte à des verbes particuliers (événements naturellement réciproques, Kemmer (1993)) et une valence particulière, tandis que la fonction collective est plus productive. Les marqueurs collectifs apparaissent essentiellement avec des verbes exprimant des événements à agent, comme on peut le voir dans les exemples suivants, où le morphème du fidjien vei– est identifié comme un marqueur collectif qui dans certains emplois peut avoir une valeur de réciprocité (503b.), mais qui marque le plus souvent différents types d'événements collectifs, même avec des verbes transitifs.

‘503 a. era dui sabi-ca a wati-dra yalewa
3pl MODIF slap-TR ART spouse-3pl female
each of them slapped his (own) wife.

b. era vei-sabi-ci
they slapped each other.’ ‘504 a. o Sepo e 'oti-va ti'o a ulu-i Elia
Sepo is cutting Elia's head (hair).

b. erau sa vei-'oti ti'o o Sepo vata 'ei Elia
Réc.-to.cut SNsujet
Sepo and Elia are involved in an activity of (hair) cutting.’

De plus, si l'on compare les langues décrites dans les typologies des marqueurs collectifs et les zones géographiques dressées par Stassen (2000), on s'aperçoit que ce sont des langues à stratégie comitative qui adoptent ces solutions, c'est-à-dire qui utilisent un marqueur plus abstrait indiquant une identité de rôle pour des participants séparés et exprimant avec certaines actions des situations réciproques (Maslova, à paraître). À ce propos, Maslova indique que cet affixe donne le rôle polyadique au premier participant qui s'ajoute au rôle attribué par le prédicat. Autrement dit, les différentes co-participations que l'on peut déceler dans ces langues proviennent du rôle attribué par le prédicat.

Bien que le wolof soit une langue à stratégie comitative, les particularités des formes de dérivation co-participative n'entrent pas dans ce schéma typologique. Si le terme d'affixe polyadique peut être donné à la forme –e, les différents sémantismes de co-participation sont renforcés par d'autres affixes verbaux qui expriment à l'heure actuelle en wolof différents types de co-participation, même si les rôles attribués par le prédicat participent également à l'interprétation de l'action.

Dans la section suivante, nous allons montrer que l'expression de situations collectives et réciproques en wolof est l'effet du cumul de différents suffixes. Cet amalgame permet de dégager les différents sémantismes discutés dans les sections précédentes. Dans cette section, nous allons montrer que l'expression d'actions polyadiques est l'effet d'un seul et même marqueur, le suffixe –e qui a pour fonction d'indiquer une pluralité de relations, seule notion sous-jacente aux situations collectives et réciproques d'après Lichtenberk (2000 : 33).