Les caractéristiques propres aux langues ergatives font que la destitution de l'objet est beaucoup plus visible dans ces langues, au sens où elle laisse forcément des traces morphologiques. En effet, retenir l'agent comme seul terme syntaxique nucléaire a dans ces langues des conséquences morphologiques (marquage casuel ou accord verbal), même en l'absence d'un dérivatif spécifique.
Ainsi, dans les exemples 513 et 514, on peut reconnaître une construction en dépit de l'absence de marquage explicite d'un changement de valence. En effet, l'antipassif modifie le marquage casuel des arguments (515b.). L'objet absolutif prend la fonction d'oblique et le sujet ergatif du prédicat transitif est marqué absolutif dans la proposition dérivée comme le sujet d'un verbe intransitif.
Par contre, dans les langues accusatives avec ou sans marquage casuel, la destitution de l'objet peut se faire sans changement dans le marquage casuel du sujet ou l'accord du verbe, comme dans les exemples ci-dessous.
Bien que ce type de transformation en français, comme en anglais, partage le même sémantisme que certaines constructions antipassives des langues ergatives, il n'y a aucun marquage explicite dans ces langues qui indique la réduction de la valence. À la différence des langues ergatives, dans les exemples 513 et 514, où la réduction de la valence se voit à travers la marque ABS sur le sujet.
Il existe cependant, dans certaines langues accusatives des constructions où un marquage verbal accompagne ce type de réduction de la valence. Il n'est cependant pas possible d'identifier ces dérivations comme des antipassives, car le même marquage morphologique est utilisé pour d'autres types de réduction de la valence, et l'emploi antipassif apparaît généralement comme relativement marginal par rapport à une valeur centrale de type moyen. Comrie (1985) donne ainsi de nombreux exemples du russe pour lesquels il identifie un marqueur –sja qui montre une réduction de la valence par omission de l'objet qu'il n'identifie pas à juste titre comme un marqueur antipassif. On retrouve les mêmes constructions en espagnol (518b.).
Dans ces constructions, un marqueur est ajouté au syntagme verbal, les fonctions syntaxiques et sémantiques du sujet ne sont pas modifiées, en revanche le patientpeut soit être omis (516b. et 517b.), soit être destitué de sa fonction syntaxique d'objet (518b.). Ces modifications restent cohérentes avec la définition de la voix antipassive. Cependant, le marqueur utilisé dans l'expression de ces fonctions montre que l'on a affaire à une extension de la voix moyenne 66 et non à une dérivation antipassive.
Toutes ces raisons font que le terme d'antipassif ne peut être attribué à ces constructions qu'avec beaucoup de réserves, du fait de l'absence de marqueur spécifique. Cependant, quelques langues accusatives présentent les mêmes fonctions avec un marqueur qui n'a pas par ailleurs d'autres fonctions et ne peut donc être rattaché ni à la voix moyenne, ni à aucune autre voix. Pour illustrer ce cas, nous utilisons les données du nahuatl (langue uto-aztèque). Dans cette langue, on trouve deux morphèmes de détransitivisation qui se répartissent les objets animés (519b.) et inanimés (519c.) que nous étiquetons comme marqueurs d'antipassif, bien que les descriptions de cette langue parlent plutôt de marques de l'objet indéterminé.
519 a. ni-k-a:na in otomitl.
S1S-O3S-attraper déf. otomi
J'attrape l'Otomi.
b. ni-te:-a:na.
S1S-AP1-attraper
Je fais un prisonnier/des prisonniers.
c. ni-tla-a:na.
S1S-AP2-attraper
J'attrape des choses.
Comme on peut le voir en comparant les exemples 519b. et 519c. à l'exemple 520b., ces marqueurs sont différents de celui de la voix moyenne.
‘520 a. ni-k-i?toa.Il est également important d'observer que, dans la structure morphologique du verbe, ces morphèmes n'occupent pas la même position que les indices objets. Dans les exemples 521a. et 521b., cette différence de position est mise en évidence par la position de l'indice objet k– et des morphèmes te:– et tla– par rapport à l'indice directionnel on–.
‘521 a. n-kim-on-itta in otomi?.Les morphèmes te:– et tla– peuvent également s'appliquer sur des bases ditransitives. Avec ces verbes, les marqueurs utilisés se répartissent les objets patient (inanimé 522b.) et récepteur (animé 522c.) et peuvent se cumuler réduisant la valence du verbe ditransitif au sujet seul (522d.).
‘522 a. ni-mits-maka in So:tSitl.Ce phénomène d'application d'un marqueur antipassif sur les bases ditransitives est rarement mentionné dans la littérature sur les constructions antipassives des langues ergatives. Il s'agit, cependant, d'un élément important à retenir lorsque nous aborderons la voix antipassive en wolof. Même si toutes les langues accusatives n'utilisent pas de marqueur spécifique pour les constructions antipassives, le cas du nahuatl permet de mettre en évidence que pour certaines langues accusatives, des constructions antipassives pourvues d'un marquage spécifique peuvent être identifiées.
Cette mise au point étant faite, la suite de ce chapitre s'organise de la façon suivante. Dans la prochaine section, nous présentons la typologie des constructions antipassives. Cette typologie s'appuie sur l'article de Cooreman (1994) A functional typology of antipassives qui prend uniquement en compte les constructions antipassives des langues ergatives.
‘“The antipassive is a construction typical for ergative languages and occurs along with ergative constructions as a morphosyntactic alternative for the same transitive proposition.”(Cooreman, 1994 : 50)’Nous passons ensuite aux constructions antipassives du wolof. Nous tentons de dresser au mieux les formes et les fonctions de ces constructions dans cette langue en les comparant à celles décrites pour les langues ergatives, et ce, afin de confirmer l'existence de constructions antipassives dans certaines langues accusatives et de décrire au plus près les modifications des relations entre les arguments d'un prédicat qu'entraîne le suffixe de l'antipassif en wolof.
cf. chapitre 3. B – 1.2.2.