B – 2. La double dérivation applicative-passive

Le second point abordé concerne des constructions qui mettent en jeu une double dérivation applicative-passive. Dans l'exemple 577 du tswana, on voit que sans marqueur explicite le sujet boramoshwe et l'oblique mesima entretiennent une relation possesseur/possédé.

‘577 (ba ne ba shebasheba jaaka) boramoshwe ba timeletswe ke mesima.
2mangouste SC2 s'égarer.APPL.PASF.TAM par 4trou
(Ils regardent de tous les côtés comme) des mangoustes ayant perdu leurs trous.’

Les transformations de la construction du verbe liées à cette double dérivation, lorsqu'elles s'appliquent sur des bases intransitives, peuvent être décrites de la façon suivante : la construction de cette proposition débute par une dérivation applicative qui augmente la valence du prédicat(578a.  578b.).

SN(1) VSN(1) V-appl. SN(2),

‘578 a. Mesima e timetse.
4trou SC4 disparaître.TAM
Les trous ont disparu.

b. Mesima e timeletse boramoshwe.
4trou SC4 disparaître.APPL.TAM 2mangouste
Les mangoustes ont perdu leurs trous.
litt. Les trous ont disparu au détriment des mangoustes’

Ensuite, l'application de la dérivation passive réorganise les arguments, faisant passer en position de sujet l'objet dont la présence a été validées par l'applicatif (b.  c.).

SN(1) V-appl. SN(2)SN(2) V-appl.-passif. OBL(1)

‘ b. Mesima e timeletse boramoshwe.
4trou SC4 disparaitre.APPL.TAM 2mangouste
Les mangoustes ont perdu leurs trous.
litt. Les trous ont disparu au détriment des mangoustes

c. (ba ne ba shebasheba jaaka) boramoshwe ba timeletswe ke mesima.
2mangouste SC2 s'égarer.APPL.PASF.TAM par 4trou
Ils regardent de tous les côtés comme des mangoustes ayant perdu leurs trous.’

Bien que dans cet exemple (578b.), le rapport de possession soit identique à celui que l'on retrouve dans les constructions en –le du wolof, cette valeur n'est pas liée intrinsèquement aux constructions, elle semble plus un effet de sens dû à la situation et au sémantisme verbal.

  • tswana (Creissels, CP)
‘579 Batho ba shelwa ke mantlo.
2personne SC2 brûler.APPL.PSF par 6maison
Les gens ont leurs maisons qui brûlent.’

Il est intéressant de noter qu'en peul, langue appartenant à la branche Nord du groupe ouest-atlantique comme le wolof 69 , le cumul applicatif-passif est attesté, mais nous ignorons si une interprétation possessive est possible ou non.

‘580 a. o addanii kam ndiyam. (Sylla)
i.s.3S apporter.appl. 1S eau
Il m'a apporté de l'eau.

b. mi addanaama ndiyam. (Sylla)
i.s.1S apporter.appl.passif eau
On m'a apporté de l'eau (litt. je suis apporté de l'eau).’

De ces différentes constructions on peut retenir que, comme dans les constructions possessives du wolof, la double dérivation permet au sujet de n'être ni l'agent qui réalise l'action décrite, ni le patient de l'action dénotée, mais un participant que l'on peut caractériser comme un bénéficiaire/détrimentaire, là où dans la proposition wolof le sujet est un possesseur. Cependant, on peut relever que, même si certaines propositions à double dérivation permettent dans certaines de ces langues une interprétation de possession entre le sujet et l'objet, cette relation, qui est systématique dans les propositions du wolof, n'est qu'un effet de sens possible dans la double dérivation applicative-passive ou dans le passif d'adversité du japonais.

Notes
69.

cf. figure 1.