B – Évolution des marqueurs moyens.

Kemmer (1993) analyse l'évolution des marqueurs de construction réfléchie. Le scénario dans sa totalité peut être rapidement présenté de la façon suivante. Un marqueur réfléchi tend dans une langue à s'étendre vers des sens moyens, mais lorsque l'extension de ce marqueur s'éloigne trop du prototype réfléchi (quasi-passive, antipassive…), un nouveau marqueur réfléchi plus lourd phonologiquement tend à être créé. L'ancien marqueur réfléchi fonctionne alors pour toutes les fonctions de voix moyenne, exceptée la réflexivité. Lorsqu'il s'étend vers des fonctions proches de la voix passive, différentes possibilités d'évolution sont attestées, soit le marqueur se perd, soit il devient un marqueur de voix passive et/ou une marque d'événement dénotant une habitude (qui est une des fonctions de la voix antipassive) (cf. figure 10).

En wolof, des évolutions possibles d'une voix moyenne, seule l'extension vers une fonction antipassive permet de maintenir l'hypothèse que la marque –e soit une ancienne dérivation moyenne. Nous avons déjà indiqué que cette marque n'a pas abouti à la création d'une voix passive, aucune voix passive n'existe dans cette langue, même avec un marqueur différent de –e. Cependant, au niveau de la famille Ouest-Atlantique, une des langues les plus proches du wolof, d'après la classification de Pozniakov (cf. figure 1, page 9), montre synchroniquement une voix passive marquée par un suffixe –e. Dans le tableau ci-dessous, nous reprenons les données provenant de Pozniakov (CP) sur les dérivations verbales de quelques langues ouest-atlantique.

sereer wolof buy basari bedik *BANTU
Eg successif ig k devenir
a neutro-passif a a H a B
ook reflexif? oox [oo]
t(u)? passif/reflexif comparatif u ~ tu uk réversif (intr.): se…
i passif e (*i) i H'term i u H passif
réciproque Îær B Îær
auto-bénéfactif lu < l-u?


Nous n'avons pas à notre disposition de données sur le passif en buy, cependant, l'origine réfléchie supposée pour la dérivation (intransitivante) –e en wolof reste compatible avec une dérivation passive –e en buy.

Cependant, dans les différentes évolutions des marqueurs réfléchis, Kemmer (1993) ne propose pas de scénario où le marqueur réfléchi devient le marqueur de situation réciproque pouvant également marquer des actions collectives (cf. figure 10). Autrement dit, en dépit de caractéristiques communes entre les événements réfléchis, réciproques et collectifs (faible degré de distinction des événements), le marqueur réfléchi ne peut évoluer en un marqueur de pluralité de relations. Elle indique même qu'aucune polysémie réfléchi-réciproque-collective n'est décelée interlinguistiquement. Dans une langue, les réciproques peuvent être liées aux réfléchies ou aux collectives, mais pas aux deux, l'explication proposée étant que les actions réfléchies et les actions collectives sont sémantiquement distantes l'une de l'autre (Kemmer, 1993 : 100).

Ainsi, même si on pose qu'historiquement un marqueur –e a évolué de la façon décrite dans les sections précédentes pour le wolof et marque synchroniquement une dérivation de type passif en buy, cette reconstruction reste difficilement compatible avec le marquage d'actions collectives en wolof par cette forme. Dans la section suivante, nous donnons l'évolution proposée par Lichenberk (2000) pour les marqueurs réciproques non liés morphologiquement au marqueur réfléchi.