Hypothèses sur les amalgames diachroniques

Tout au long de l'analyse synchronique de marqueurs de dérivation verbale, certaines particularités de modification ou la concordance de formes de certains marqueurs nous ont conduite à supposer des syncrétismes pour plusieurs de ces suffixes et des amalgames pour d'autres. Nous commençons par un rappel des indices qui nous ont permis de supposer l'existence d'un marqueur de pluralité de relation en wolof dans différents suffixes.

Les particularités dérivationnelles de la forme –le nous ont conduite, dans un premier temps, à supposer le figement d'une séquence –al-e applicatif/détransitivant (passif) pour cette forme (chapitre 9). Ensuite, les données typologiques sur les marqueurs d'action collective (Lichtenberk, 2000) et les formes des marqueurs de co-participation et de réciprocité du wolof nous ont amenée à isoler dans les marqueurs actuels –ante, –andoo et –oo un marqueur de réciprocité –e dont le cumul avec les suffixes –ant, –andu et –u aurait permis de créer les différents sémantismes mis en évidence (chapitre 7). Une fois ce marqueur isolé, nous sommes revenue sur les fonctions de réduction de la valence marquées également par une forme –e (antipassif, fonction quasi-passive isolée dans le suffixe –le). Ces différentes fonctions sont remplies dans certaines langues par un marqueur unique qui relève de la voix médio-passive (chapitre 10). Nous avons alors posé un scénario possible d'évolution pour le passage en wolof d'un ancien marqueur de voix moyenne –e. Cette hypothèse est en partie validée par les données sur le buy. Cependant, elle laisse de côté la question du lien avec les actions collectives. Une seconde hypothèse basée essentiellement sur un phénomène identique dans les langues océaniques (Lichtenberk, 2000) a alors été avancée. Cette hypothèse pose que le marqueur –e réciproque s'est développé en un marqueur de pluralité de relations permettant seul ou avec d'autres morphèmes d'exprimer les différentes fonctions mises en évidence dans les différents chapitres descriptifs.

D'un autre côté, les hypothèses de séquences de morphèmes qui s'amalgament ou se figent touchent des suffixes qui augmentent la valence. Dans le chapitre 6, lorsque nous avons abordé la question d'un syncrétisme causatif/applicatif possible dans cette langue, des hypothèses d'amalgames ou de figements diachroniques possibles pour les formes –lu, –loo et –le ont été formulées. En effet, il semble qu'ils soient tous issus d'une dérivation applicative à laquelle s'ajoute une dérivation moyenne dans les cas de –lu et –loo suivie d'une deuxième dérivation applicative dans les cas de –loo. En ce qui concerne le suffixe –le des deux hypothèses posées, nous avons retenu dans le chapitre un figement entre la dérivation applicative –al et le marqueur de pluralité de relations.

–le al-e (comitatif-pluralité de relations)
–lu al-u (bénéfactif-moyen)
–loo al-u-e (bénéfactif-moyen-instrumental)

Ces propositions ont l'inconvénient de ne pas être conformes aux reconstructions de la branche Ouest-atlantique Nord (où deux origines sont proposées pour les marqueurs causatifs et applicatifs –al, respectivement *–En/el et *–an/aL). Nous nous permettons toutefois de les proposer du fait de l'état peu avancé de la reconstruction de cette famille.

Ces hypothèses sont largement spéculatives. En l'absence de données sur les autres langues proches du wolof, il est difficile d'avoir une idée plus précise de la formation de ces morphèmes. Ces hypothèses ont donc été basées sur des phénomènes similaires dans des langues génétiquement éloignées, ce qui, dans le cadre d'une étude diachronique, peut conduire à d'étranges surprises. À ce niveau de l'analyse, nous ne pouvons qu'espérer disposer à l'avenir d'autres descriptions de langues atlantiques, afin de valider ou infirmer ces suppositions.

Dans nos prochaines recherches, nous comptons travailler sur d'autres langues de la famille atlantique, à commencer par celles du groupe cangin. Ceci permettra à la fois de poursuivre la documentation linguistique sur les langues atlantiques et, nous l'espérons, d'apporter de nouvelles pistes pour l'ensemble des hypothèses dégagées tout au long de cette étude.