0.3.2.1. L’analyse socio-économique

L’analyse socio-économique des organisations postule qu’une organisation est un ensemble de structures et de comportements qui interagissent. Ces interactions se traduisent par des variations d’activités qui représentent le fonctionnement de l’organisation.

Si aucune distorsion n’intervient, du fait de ces variations d’activités, entre le fonctionnement attendu et le fonctionnement réel, nous parlons alors d’orthofonctionnement. Si au contraire, ces variations génèrent des écarts, nous sommes en présence de dysfonctionnement.

Les dysfonctionnements se définissent alors comme suit : «ils sont le produit des interactions entre les structures d’une organisation et les comportements des acteurs internes et externes. Ils sont qualifiés par les acteurs comme des écarts par rapport à l’orthofonctionnement, c’est-à-dire le fonctionnement souhaité». (Savall et Zardet 1 )

Ces dysfonctionnements se classent en six familles distinctes :

  • Conditions de travail
  • Organisation du travail
  • Gestion du temps
  • Communication-Coordination-Concertation
  • Formation intégrée
  • Mise en œuvre stratégique

Pour réussir à contrôler les dysfonctionnements, il convient de comprendre comment ils apparaissent et se développent au sein des entreprises. Les dysfonctionnements sont en fait le résultat du jeu des acteurs, tel qu’il a été analysé par Crozier et Friedberg 2 (1977). Ces auteurs se sont attachés à identifier les différences fondamentales entre les plans d’action théoriques et ceux réellement mis en place. Ces études, en observant les relations de pouvoir entretenues par les acteurs, définissent des champs d’inégalités dans lesquels ils vont puiser leur influence, ou plus exactement leur accès, à des ressources plus ou moins fondamentales.

Le contrôle d’une ressource unique permet à un acteur d’imposer sa volonté au reste de l’entreprise, même si l’objectif de l’acteur diffère de celui de l’entreprise. L’organisation est alors analysée comme le lieu de l’action collective, mais aussi comme un lieu de négociation et d’interaction. Cette approche permet de mieux cibler le rôle des interdépendances qui existent dans les organisations. Ce sont justement ces interactions qui donnent lieu à une analyse en terme de pouvoir. Les acteurs s’activent davantage à s’accaparer et à protéger le pouvoir qu’ils ont acquis qu’à satisfaire les objectifs fixés par l’entreprise.

Différentes méthodes, issues de cette théorie, ont vu le jour. Elles cherchent en tout premier lieu à améliorer la performance des entreprises en identifiant et en restructurant le jeu des acteurs.

Le système développé par Trépo 3 (1998), sous le nom d’ALSA (Actors Logics System Analysis) en est un exemple parfait et se décompose en quatre éléments :

  • Identifier les acteurs,
  • Identifier les relations sociologiques internes à l’entreprise (opposition/conflit, alliances, dépendances entre acteurs),
  • Evaluer le pouvoir individuel des acteurs,
  • Reconstruire une logique d’action.

L’analyse socio-économique, structurée par Savall 4 (1976), est une autre façon d’analyser les relations internes aux entreprises et de pointer les variations entre la prévision et la réalisation effective, en étudiant les interactions entre les structures de l’entreprise et le comportement des acteurs.

Le fait d’apprécier cette analyse à partir des dysfonctionnements et de leurs modalités de réduction ne peut se comprendre que si l’on prend en compte les effets de ces déviations.

Les dysfonctionnements se traduisent, dans l’entreprise, par une accumulation de coûts, dus aux opérations de régulation qu’ils entraînent, coûts qui pourraient être évités. Il existe là une source de rentabilité certaine.

Afin d’en mesurer l’impact en termes de coûts, l’établissement et le suivi d’un certain nombre d’indicateurs sont prescrits.

Ceux-ci se classent dans cinq rubriques :

  • Absentéisme,
  • Accidents du travail,
  • Rotation du personnel,
  • Non-qualité,
  • Sous productivité directe.

Leur évaluation et leur contrôle permettent de libérer des poches de productivité, entraînant, ipso facto, une amélioration de la compétitivité des entreprises. Attirer l’attention des dirigeants sur une telle approche pourrait leur faire prendre conscience de l’intérêt de mettre en place des processus de restructuration innovants, visant à la fois à limiter les coûts cachés actuels et ceux qui pourraient survenir dans le futur comme le montre la figure suivante :

Figure 0.1. : faiblesse et force stratégique
Figure 0.1. : faiblesse et force stratégique

Le but ultime de la stratégie socio-économique est donc de mettre à jour des poches de productivité restées inexploitées.

Sur le long terme, la mise en place d’un processus de stratégie socio-économique se traduit par le résultat suivant :

Figure 0.2. : Réduction des dysfonctionnements à long terme
Figure 0.2. : Réduction des dysfonctionnements à long terme

La stratégie socio-économique a aussi pour effet de limiter l’apparition de nouveaux dysfonctionnements qui engendreraient à leur tour de nouveaux coûts cachés. En effet, cette théorie s’analyse comme le révélateur de l’impact du comportement des acteurs, qu’elle traduit en performances visibles. C’est là un atout majeur, compte tenu de l’adaptation permanente de la méthode socio-économique, dont l’objectif est d’éviter la recréation de dysfonctionnements.

Nous pouvons dès lors parler légitimement de gains d’opportunité par opposition au concept de coûts d’opportunité. Ces économies, obtenues à partir dela diminution des coûts cachés actuels et futurs peuvent alors être réaffectées pour assurer le développement stratégique de l’entreprise.

Cependant, il faut tenir compte du fait que les acteurs s’adaptent aux nouvelles règles et adoptent une façon d’agir, qui à l’instar du principe de la spirale, généreront de nouveaux types de dysfonctionnements. C’est pourquoi le toilettage est un processus récurrent qui ne doit pas se limiter à une action ponctuelle. Pour utiliser une métaphore, il est à considérer comme un traitement de fond qui évite l’hospitalisation et la chirurgie.

La stratégie socio-économique conduit à la fois au dépassement d’un seuil de survie d’un point de vue économique (seuil de rentabilité) et au dépassement d’un axe, marquant les limites des investissements (seuil de développement) en mettant l’accent sur la création de potentiel essentiellement immatériel garantissant une certaine stabilité des cash-flow dans le futur.

Le sentier de croissance socio-économique est défini par le graphique suivant :

Figure 0.3. : Le sentier de croissance socio-économique
Figure 0.3. : Le sentier de croissance socio-économique

Le processus de toilettage et la stratégie socio-économique cherchent à entraînerl’entreprise des zones D ou A dans la zone B. Cette position lui permet de se développer dans le long terme, en ne se limitant pas à la recherche de résultats immédiats.

Quatre concepts fondamentaux, empruntés à la stratégie socio-économique, servent de piliers au développement d’une approche innovante de la proactivité :

  • Le SIOFHIS (Système d’informations opérationnelles et fonctionnelles humainement intégrées et simulantes) : désigne la capacité d’une organisation à produire des actes décisifs par rapport aux objectifs de survie-développement à partir des échanges d’informations.
  • La Synchronisation  : ensemble des dispositifs de coordination en temps réel permettant d’éviter des décalages nocifs ou dommageables entre les actions des différents acteurs (individuels et collectifs) d’une organisation.
  • Le Toilettage  : examen et révision périodiques des objectifs, des actions prioritaires, des procédures, de l’organisation…. de tous les éléments qui se dégradent à travers le temps.
  • Le Pilotage  : le pilotage se définit autour de trois composants :
    • L’énergie : volonté de faire ou de faire faire,
    • La coopération : partage du contenu des décisions,
    • L’instrumentation : utilisation d’outils adaptés.

Notes
1.

Savall et Zardet “ Ingénierie Stratégique du Roseau ”, préface de S. Pasquier, Economica 1995 p 469

2.

Crozier et Friedberg “L’Acteur et le Système ” Le Seuil, Paris 1977

3.

Trépo ,1998, How to understand organizations’ management and change : is Actors Logics System Analysis (ALSA) one useful answer ? , Academy Of Management, San Diego

4.

Savall H. ; 1975, Enrichir le travail humain dans les entreprises et les organisations Préface de J. Delors, Dunod Mention spéciale du prix IAE Management Paris 1976