1.1.2. Stratégie linéaire et stratégie adaptative

Selon Le Roy 21 (1999), une fois intervenue la phase d’identification des différentes formes de guerres, il est évident pour les militaires que les principes opérationnels soient adaptés à la situation. La logique asiatique, quant à elle, analyse le problème de façon inverse, et adapte la situation aux principes opérationnels disponibles.

Il s’ensuit, du côté occidental, que l'action stratégique est traditionnellement orientée sur une analyse externe de l'environnement et n'intègre les données internes pour les adapter qu’en seconde intention. La structure linéaire qui en découle est alors la suivante :

Figure 1.2. : structuration linéaire de la stratégie
Figure 1.2. : structuration linéaire de la stratégie

Selon Chandler 22 (1985), la stratégie incorpore la détermination des objectifs fondamentaux à long terme de l'entreprise et l'adoption des actions et des allocations de ressources qu'il convient de réaliser afin d'atteindre ces objectifs (vision linéaire de la stratégie). A partir de ce point, nous devons noter avec Poirier 23 (1985) que toute l’analyse conflictuelle, contenue au départ dans la définition de la stratégie militaire est évacuée de la stratégie des entreprises. Cette dernière se caractérise alors principalement par rapport à l’objectif à atteindre et c’est ce dernier qui va influencer et déterminer les moyens nécessaires à sa réalisation. On trouve chez Jullien 24 (1996), une critique assez poussée de ce typede stratégie qui peut être résumée dans le schéma suivant :

Figure 1.3. : critique de la stratégie linéaire
Figure 1.3. : critique de la stratégie linéaire

Différents points de rupture limitent ainsi la validité stratégique, puisqu’ils l’enferment dans un schéma complexe de but idéal à atteindre, but qui par définition ne peut être obtenu. Faut-il rappeler par exemple,que chez Aristote, l’art de la stratégie côtoie l’art de la navigation et que le philosophe fait intervenir dans la composante stratégique à la fois la techné (l’art) et la tuché (le hasard, la chance), cette dernière justifiant en grande partie le décalage entre le but idéalement fixé et le but imparfait atteint.

Dans le même temps, des stratégies dites adaptatives se développent. Celles-ci, ainsi que Chaffee 25 (1985) les a définies, consistent à mettre les possibilités et les ressources de l’entreprise en adéquation avec lesmenaces et les opportunités de l’environnement. Cette perception de la stratégie va conduire à des développements tels que ceux proposés par Mintzberg 26 (1987) ou Porter 27 (1982). Les particularités propres à chaque auteur sont exposées dans le tableau suivant :

Figure 1.4. : Perception de la stratégie selon Mintzberg et Porter
Mintzberg Porter
un comportement cohérent (pattern) ligne d'ensemble indiquant
une manœuvre concurrentielle (ploy) comment une entreprise va entrer en lice contre ses concurrents
un plan (plan) et les actions précises
une manière de voir le monde (perspective) permettant d'acquérir et de conserver un avantage concurrentiel

Nous remarquons que l’attention des managers se porte sur l'environnement externe sans toujours prendre en compte les ressources/contraintes internes. En effet la stratégie est d’emblée définie selon un angle visant à adapter l’organisation interne aux donnéesexternes ; l’analyse inverse (adapter l’externe à l’interne) étanttrès rarement adoptée dans le cadre des stratégies linéaires ou adaptatives.

Selon Le Roy 28 (1999), il existerait, notammentdans le cadre militaire, un niveau dit de «stratégie opérationnelle «, niveau se situant aux confluents des différentes actions intermédiaires liant la stratégie (prise en compte de l’ensemble des critères internes et externes) et la tactique (surface limitée).

Appliquée àl’entreprise, la stratégie opérationnelle pourrait se comparer aux actions intégratives qui démultiplient la stratégie et l’intègrent de façon transversale.

Or, en partant du principe que notre structure mentale nous conduit à dresser des formes idéales que nous posons comme but précis à atteindre et que nous agissons ensuite pour faire passer ces créations sur mesure dans les faits, des dérives sont par définition inévitables. C’est pourquoi, comme le spécifient Emery et Trist 29 (1965), nous en sommes venus à croire et à penser que seules une planification rigoureuse et une décomposition précise des actions stratégiques peuvent nous permettre d’anticiper et de maîtriser les situations dans lesquelles nous serons appelés à évoluer. Autrement dit, seule une planification (au sens d’élaboration de plan et non pas de planification temporelle) peut modeler les faits pour nous permettre d’atteindre la cible parfaite.

Or, les stratégies linéaires et/ou adaptatives ne déclinent pas dans leurs actions la totalité des différents éléments indispensables à la performance. En effet, nous verrons dans le prochain paragraphe que les modèles stratégiques faisant référence ne sollicitent souvent qu’une seule dimension de l’entreprise : la dimension externe ou la dimension interne.

Notes
21.

Le Roy, 1999, Stratégie militaire et management stratégique des entreprises, ibid.

22.

Chandler,1985 , cité dans Chaffee E.E. Three Models of strategy, Academy of management Review Vol 10 n°1

23.

Poirier L 1985, Les voix de la stratégie, op.cit

24.

Jullien F, 1996 Traité de l’efficacité, op.cit

25.

Chaffee E.E. , 1985,Three Models of strategy, op.cit

26.

Mintzberg H., 1987, The strategic concept : five P’s for strategy, California management review

27.

Porter M. ,1982, Choix stratégiques et concurrence, Economica

28.

Le Roy F, (1999), Stratégie militaire et management stratégique des entreprises, ibib. 250p

29.

Emery F.E. & Trist E.L (1965)., The causal texture of organizational environments, Human relations, 18/1, , 21-23