1.2.3. Les effets du manque d'intégration stratégique

Les interventions 44 menées dans diverses organisations nous ont permis d’identifier un certain nombre d’invariants, dont nous pensons qu’ils expliquent l’échec de certaines stratégies.

L’incidence du manque d’intégration stratégique relevé dans l’une des entités où nous sommes intervenus a été évaluée en utilisant la méthodologie des coûts cachés pour un total de 12 000 € (Entité B).

Les éléments suivants donnent une idée du type de dysfonctionnements élémentaires 45 liés à ce manque d’intégration :

C’est ainsi que l’absence de réelle vie d’entreprise basée sur des projets partagés induit des comportements résignés et attentistes et un personnel inhibé, en attente d’événements, de mouvements, d’animation et se traduit par des pertes d’énergie.

Le manque de visibilité pousse les entreprises à se contenter de tactiques de survie pure, applicables dans le court terme et non démultipliables en actions stratégiques créatrices de valeur, car elles ne maîtrisent pas la méthodologie adaptée à la structuration stratégique. Les actions les plus simples, comme l’affectation du personnel au poste de production, qui devraient découler du positionnement stratégique ne sont pas effectuées.

De plus, le manque de liaisons des interfaces entre les différents services permet rarement de décliner la stratégie en actions concrètes et cohérentes. Selon Charney 46 , la stratégie ne porterait pas immédiatement sur des phénomènes concrets mais sur leur représentation intellectuelle. Les processus cognitifs n’étant pas équivalents, la conception de la stratégie varie d’une personne à l’autre, ce qui peut expliquer les écarts entre la stratégie affichée et la stratégie mise en œuvre. Le manque d’intégration stratégique, tel qu’il est vécu dans les entreprises, se trouve illustré dans les cas suivants :

Ces propos sont révélateurs d’un manque de communication verticale et d’une absence de coordination entre les différents services et entre les différents niveaux hiérarchiques. La combinaison de ces deux dysfonctionnements a pour conséquences de nombreux contre-ordres au niveau du planning et une désorganisation de l’activité de production. L’absence de dialogue et de franchise entre l’encadrement et le personnel de base accentue encore ce phénomène.

De plus, les « administratifs » laissent croire que tous les problèmes de l’entreprise viennent de la fabrication et se retranchent derrière l’idée que, dans leur domaine, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Les interfaces ne sont pas encore assez synchronisées. Les différents services travaillent sans véritable liaison et il n’existe que peu de dispositifs permettant d’assurer une véritable synergie interne. La mise en place d’outils de formalisation des actions stratégiques (PAP, CAPN) n’est valable que s’il existe une véritable transversalité des outils entre les différentes entités.

A partir de ces données directement issues du terrain, nous voyons bien tout l’intérêt des outils de formalisation des actions stratégiques. Cependant, ceux ci ne libèrent leur pleine efficacité que s’il existe une véritable transversalité entre les différentes unités.

Figure 1.10. : Les différents éléments de l’intégration stratégique
Figure 1.10. : Les différents éléments de l’intégration stratégique

Les stratégies linéaires et/ou adaptatives, dont les prolongements les plus récents ont donné naissance à des processus tels que le reenginnering ou le downsizing, laissent de côté l’analyse des éléments constitutifs des points forts de l'entreprise et spécialement de leurs liaisons. C’est pourquoi elles ne peuvent prétendre atteindre un haut niveau d’intégration stratégique. Ceci d’autant plus que les effets pervers induits par la mise en œuvre des actions centrées sur la réduction des coûts, souvent à la base des stratégies linéaires et/ou adaptatives, (reenginnering, downsizing ) affectent souvent la performance à long terme des entreprises.

La comparaison entre les effets positifs et les effets négatifs du downsizing, tels qu’ils ont été recensés dans la littérature des années 1980, peut être établie à partir des recherches effectuées parDe Meuse, Vanderheiden et Bergmann 47 (1994).

Pour bien illustrer les avantages et les inconvénients résultant des réductions d’effectifs, ces auteurs proposent le tableau suivant :

Figure 1.11. : Analyse du downsizing
Arguments en faveur du downsizing Arguments contre le downsizing
Réduction des coûts opérationnels Diminution de la profitabilité et limitation de la croissance des dividendes
Augmentation de l’efficacité organisationnelle Non augmentation de l’efficacité dans le long terme
Augmentation de la compétitivité de l’organisation Diminution de la productivité et de la qualité des produits
Elimination des pans de l’organisation jugés non nécessaires Augmentation du stress conduisant à un niveau élevé d’absentéisme et de turnover.

Cette présentation montre combien il est difficile d’émettre une opinion arrêtée sur les effets réels du downsizing. Nous remarquerons cependant que les effets positifs sont principalement perçus de façon externe, financière et à court terme : compétitivité, contrôle des coûts, alors que les inconvénients affectentprincipalement le processus de production et la création de valeur à long terme.

Notes
44.

Une présentation poussée des terrains d’interventions ainsi que de la méthodologie utilisée lors de ces interventions seront exposées dans la seconde partie de notre thèse. Pour l’instant nous nous contenterons d’appuyer notre développement par des phrases témoins, phrases provenant des diagnostics que nous avons réalisés ainsi que par une évaluation des coûts cachés dérivant de ces diagnostics.

45.

Les dysfonctionnements élémentaires se définissent comme étant une synthèse générique d’un ensemble de phrases témoins. Ils sont une étape intermédiaire entre la phrase témoin et l’idée clé générique.

46.

Charnay J.P. (1990) Critique de la stratégie,L’Herme, Paris

47.

De Meuse, Vaanderheiden et Bergmann, 1994, Announced Layoffs : Their effects on Corporate Financial

Performance , Human Resource Management Vol 33, n°4 p509-530